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LE CHANT DU CRAPAUD.


D’où viennent-ils, ces chants si doux
Et cependant si tristes,
Que soupirent autour de nous
D’invisibles choristes?

On croit entendre au bord de l’eau
Pan, le dieu de l’automne,
Tirer de sa flûte en roseau
Ce soupir monotone.

Dans les guérets et dans les bois
Résonnent ces chants grêles;
On dirait que toutes ces voix
Se répondent entr’elles.

La mélancolique chanson
S’éteint, puis recommence,
Et c’est toujours le même son
Et la même cadence.

Mais je vois passer près de moi
Comme une forme impure...
— Ah! je te reconnais : c’est toi,
Horrible créature !

Être immonde, hideux crapaud,
Misérable reptile,
Avec ton œil terne et ta peau
Gluante comme l’huile !

Eh quoi ! ce chant mystérieux
Dont j’admirais le charme,
Qui tout à l’heure dans mes yeux
A fait sourdre une larme,

Ce soupir qui doit émouvoir
Plus d’une jeune fille.
Quand elle va rêver le soir
Sous la sombre charmille :

C’est le chant d’amour, c’est le cri
De cette bête impure.
Hôte du cloaque pourri,
Rebut de la nature !