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naïve. Marie adorant l’hostie, c’est-à-dire l’image symbolique de son fils mort pour racheter les fautes du genre humain, ne devrait pas étaler à nos yeux ses belles phalanges avec tant de coquetterie. Ses mains devraient s’unir et s’étreindre mutuellement au lieu de se toucher du bout des doigts. Et puis il y a dans la manière même dont les mains sont modelées quelque chose de trop mondain. La plus jeune, la plus séduisante de toutes les madones de Raphaël, la madone du palais Pitti, connue vulgairement sous le nom de Vierge à la chaise, n’offre pas à nos yeux des mains si délicates. Bien que le peintre d’Urbin n’ait pas négligé d’accuser les fossettes placées à la naissance des phalanges, il a su pourtant concilier l’élégance et la naïveté. Dans la Vierge à l’hostie, les mains, belles sans doute, ne sont pas d’une beauté assez simple. Marie a trop l’air de savoir que ses mains sont belles et de vouloir les montrer, et cette coquetterie est d’autant plus frappante qu’elle ne s’accorde pas avec l’expression du visage. Ces mains qui se touchent à peine, qui s’effleurent doucement comme si elles craignaient de se froisser, contrastent singulièrement avec la piété ardente du personnage. M. Ingres, sans doute, en donnant aux mains de la Vierge une beauté si délicate, n’a conçu aucune des intentions mondaines que je viens d’indiquer : je le crois volontiers, mais je pense que mon étonnement est partagé par un grand nombre de spectateurs. Parmi les admirateurs les plus sincères de cet artiste si franchement dévoué à son art, plus d’un se demande comment la Vierge, adorant la victime divine, peut avoir tant d’humilité dans le regard, tant de coquetterie dans le geste consacré à l’expression de la prière. Ici, je le crois, M. Ingres s’est laissé emporter par le désir de bien faire. Résolu à chercher pour Marie la beauté la plus complète, la plus pure, il n’a pas su s’arrêter à temps et sacrifier, dans l’exécution des mains, la délicatesse à la simplicité. Une telle faute assurément n’est pas sans gravité, mais elle est bien rachetée par la ferveur du visage, et la Vierge à l’hostie, qui malheureusement a quitté la France, fait le plus grand honneur au savoir, au talent, à l’imagination de l’auteur. Plus simple, elle serait plus belle encore ; telle qu’elle est pourtant, on ne saurait la confondre avec les compositions du même genre qui chaque jour liassent devant nos yeux. C’est une œuvre long-temps méditée, conçue avec amour, long-temps caressée, exécutée avec ardeur, retouchée avec patience, une œuvre qui exprime nettement une pensée sincère. C’est pourquoi je regrette qu’elle ait quitté la France.

Virgile lisant l’Enéide est une composition pleine de sagesse et de sobriété. C’est bien là le Virgile que nous voyons au musée du Capitole, avec son beau profil d’adolescent. Il lit en ce moment le sixième livre de son poème et rappelle en quelques mots pathétiques la cruelle destinée du jeune Marcellus. L’impératrice s’évanouit : l’image de ce