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les poisons de l’amour dans toute la province de Cosenza, et c’était une maladie plus redoutable que la fièvre ; car de tous les malades qu’elle faisait, un seul pouvait espérer de se guérir, et on ne savait pas encore lequel serait préféré. Déjà cette fille insensible avait refusé la main d’un duc, celle d’un général, celle d’un gouverneur de Calabre, et, dans le palais de l’intendance, un pauvre jeune homme s’en allait dépérissant d’amour et de tristesse. Et cependant elle n’était point riche, la belle Cosenzine, puisque son père, simple tonnelier, faisait des cuves pour la vendange, tandis qu’elle filait sa quenouille.

Ce fut à la noce d’une de ses compagnes qu’elle s’éprit subitement d’une tendresse extrême pour un beau garçon qu’elle ne connaissait point encore. Il était venu de Cetraro pour marier sa cousine, le jeune pêcheur. Il ne possédait que sa maisonnette, sa barque et ses filets, mais il avait la mine d’un dieu, le courage d’un lion, et il dansait comme un faune. En dansant une saltarelle avec lui, la Cosenzine se troubla, et son cœur de marbre devint tout à coup plus tendre qu’un pain de miel. Tandis que le cœur de la Cosenzine fondait comme la cire, celui du pêcheur cetrarin s’enflammait comme le sarment, si bien qu’ils se dirent leur amour et qu’on les accorda, en répétant mille fois que ces jeunes gens faisaient un beau couple, et en bénissant les seins féconds des deux mères qui les avaient portés. Au lieu de retourner chez lui, le pêcheur passa une semaine à Cosenza, toujours à côté de sa fiancée. Elle s’appuyait sur son bras le long du chemin qui descend à la mer. On prit jour pour célébrer les épousailles, et, en partant pour Cetraro, le fiancé donna et reçut le baiser de la promesse.

Dans l’ivresse de son bonheur, le Cetrarin avait oublié l’époque du passage des thons sur les côtes de Sicile, et, comme le thon n’attend point pour passer que les pêcheurs aient célébré leurs noces, il fallut s’embarquer à la hâte et rejoindre les barques dont on voyait au loin les voiles blanches.

En ce temps-là, le terrible corsaire Cariadin-Barbe-Rousse venait de recevoir du Grand-Turc le gouvernement de Zerbi, en récompense de ses exploits contre les chrétiens, et, comme il voulait monter sa maison, il envoya un brigantin de guerre sur les côtes d’Italie chercher de belles esclaves pour son sérail. Au milieu de la nuit, le vaisseau vint courir des bordées en face de Cetraro et de Cosenza. Un canot aborda sans bruit à peu de distance de ces deux villes. Les Turcs, armés de pistolets et de sabres, rôdèrent sur le rivage comme des requins affamés. Une troupe de jeunes filles vint à passer parmi lesquelles était la belle Cosenzine, tâchant de distinguer encore dans le lointain la voile blanche qui emportait ses amours. Quelle aubaine pour les mécréans ! Ils se jetèrent sur les jeunes filles, et ils entraînèrent toute