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Puisque M. Horne voit l’avenir du monde dans cette union plus étroite du travailleur et du rêveur, de l’homme qui pense et de l’homme qui agit, immédiatement se présente à l’esprit ce doute : Qu’est-ce qu’un homme de lettres peut apprendre au peuple, et qu’est-ce que M. Horne lui apprendrait, s’il était mis en demeure d’appliquer sa doctrine? M. Horne a répondu à cette question dans son ouvrage même : comme le héros de son roman, il mettrait sa bibliothèque au service des prolétaires de sa connaissance. Dans ces deux volumes, il est question presque à chaque page de cette union intime du poète et de l’ouvrier, et nous ne voyons pas que le poète fasse quelque chose en faveur de l’ouvrier; nous nous trompons, il lui prête quelques livres; c’est le seul bienfait moral et matériel dont il le gratifie. Tant de pompeuses théories, tant de phrases d’une générosité si prodigue et si facile pour arriver à ce médiocre résultat ! En vérité, la bienfaisance et la philanthropie sont aisées à ce prix. Il est vrai qu’Archer le poète est pauvre et qu’il ne peut payer le travailleur qu’en phrases; il est vrai que, de son côté, Harding le travailleur est fier, et qu’il ne voudrait accepter aucun bienfait. L’auteur, dirait-on, a fait exprès de placer ses personnages dans une situation telle qu’ils n’eussent pas besoin de grandes vertus pour s’entendre, et qu’ils pussent s’acquitter de leurs devoirs mutuels en bavardant et en discourant. Harding, par exemple, n’est qu’un faux prolétaire, c’est un ouvrier employé dans les chantiers de l’état à la construction des vaisseaux, un ouvrier qui touche un salaire qu’on serait tenté de décorer, vu son élévation, du nom d’appointemens, un ouvrier bien vêtu, bien logé, bien nourri, indépendant, disert, assez instruit pour pouvoir décemment tenir sa place dans un monde supérieur au sien et converser sans dire trop de sottises avec des gens d’une instruction supérieure à la sienne. Il nous est absolument impossible de nous apitoyer sur les souffrances et les douleur d’un homme qui est si bien à l’abri de la misère, et qui, pour s’élever à un grade supérieur à celui qu’il occupe, n’a besoin que de la volonté d’apprendre quelques élémens de mathématiques. Il est vrai que cette bonne volonté lui manque : Harding est imbu de cette vanité si commune de nos jours parmi les classes populaires : il est ouvrier, dit-il, et veut rester ouvrier. On pourrait se demander alors de quoi il se plaint et pourquoi il récrimine. Harding est un caractère faux et peu intéressant. Archer le poète est, comme Harding, un caractère faux et n’inspire pas beaucoup plus de sympathie. Élève d’un philosophe socialiste à la façon du Trenmor de Lélia, il est pompeux et nébuleux comme un disciple de M. Pierre Leroux. Il nous est présenté comme le type du penseur, martyr de tous les égoïsmes de la terre. Un oncle riche l’abandonne à sa pauvreté et meurt sans lui laisser le plus petit débris de sa fortune; sa fiancée, qui l’aime pourtant, hésite à l’épouser