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un jour devenir entièrement démocratique; mais que le peuple en soit bien convaincu, le meilleur moyen d’ajourner indéfiniment son avènement à la vie publique, c’est de laisser exprimer ses vœux par le porte-voix de tel ou tel énergumène et d’être obligé d’accepter la solidarité des actes de tel ou tel scélérat qu’il aura pris pour son chef. Les insurrections, les coups de poignard, les massacres ne sont point des titres à la confiance des nations; ces violences flétrissent les partis qui s’y abandonnent, et détruisent pour long-temps, si ce n’est pour toujours, les espérances des classes qui avaient mis leur confiance dans ces partis. Que les classes populaires parlent donc elles-mêmes et sans employer des intermédiaires odieux, capables de faire soupçonner de mensonge et d’infamie tout ce qu’ils protègent et tout ce qu’ils recommandent. Qu’elles parlent elles-mêmes; à ce prix seulement elles pourront s’habituer à la vie publique; elles apprendront ses difficultés et ses dangers; elles acquerront la notion du possible et de l’impossible qui leur manque. Mais, direz-vous, laissées à leur inexpérience, elles s’exprimeront maladroitement et prêteront le flanc aux railleries des autres partis par leur gaucherie ou leur ignorance? Eh! pourquoi donc ne passeraient-elles pas par ces épreuves? pourquoi donc seraient-elles exemptées de faire leur éducation politique? Cet aveu, qu’elles sont incapables aujourd’hui de se gouverner elles-mêmes, ne retombe-t-il pas sur le parti démocratique, et ne démontre-t-il pas que les classes populaires sont, sinon incapables de participer à la vie politique, du moins peu préparées à y prendre part? Que désormais, si elles veulent devenir une force politique, elles apprennent à se conduire elles-mêmes; qu’elles apprennent par leurs fautes commises et par celles qu’elles commettront tout ce que demande de sagesse, de prudence et de modération la participation aux affaires publiques. Les classes populaires de l’Angleterre ne semblent pas, il est vrai, disposées à tomber dans les erreurs et les folies où sont tombées les classes populaires de la France; elles abandonnent moins le soin de les guider, de les discipliner. aux hommes des autres classes. L’esprit individuel, le sentiment de la personnalité humaine, si vif chez les nations de race saxonne, vivent dans le dernier ouvrier des manufactures comme chez le premier pair d’Angleterre. Les ouvriers anglais parlent beaucoup mieux par eux-mêmes que par des intermédiaires, ils parlent beaucoup mieux surtout que nos prolétaires français qui ont voulu chez nous exprimer les sentimens de leurs compagnons. Tout récemment n’avons-nous pas vu les chartistes de Manchester, tous ouvriers, désavouer publiquement le manifeste des chartistes de Londres, émané de bourgeois et d’écrivains, le désavouer connue funeste aux classes laborieuses, le dénoncer comme démagogique et destructeur de la constitution et de la société anglaises?