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lui faisant subir les plus profondes modifications pour l’accommoder à ses tendances mystiques et mythologiques. Les progrès de l’islamisme, du reste, sont depuis long-temps arrêtés, et il a désormais perdu toute efficacité convertissante.

Que si l’on se demande quelles seront ses destinées en face d’une civilisation essentiellement envahissante et appelée, ce semble, à devenir universelle, autant que le permet l’infinie diversité de l’espèce humaine, il faut avouer que rien jusqu’ici ne peut nous aider à concevoir une idée exacte de la manière dont s’accomplira cette immense révolution. D’une part, il est certain que, si l’islamisme vient jamais, je ne dis pas à disparaître, car les religions ne meurent pas, mais à perdre la haute direction intellectuelle et morale d’une partie importante de l’univers, il succombera non sous l’effort d’une autre religion, mais sous le coup des sciences modernes, portant avec elles leurs habitudes de rationalisme et de critique. D’un autre côté, il faut se rappeler que l’islamisme, bien différent de ces tours altières qui se roidissent contre l’orage et tombent tout d’une pièce, a dans sa flexibilité même des forces cachées de résistance. Les nations chrétiennes, pour opérer leur réforme religieuse, ont été obligées de briser violemment leur unité et de se constituer en révolte ouverte avec l’autorité centrale. L’islamisme, qui n’a ni pape, ni conciles, ni évêques d’institution divine, ni clergé bien déterminé, l’islamisme, qui n’a jamais sondé l’abîme redoutable de l’infaillibilité, a moins à s’effrayer peut-être du réveil du rationalisme. À quoi, en effet, s’attaquerait la critique ? À la légende de Mahomet ? Cette légende n’a guère plus de sanction que les pieuses croyances que, dans le sein du catholicisme, on peut rejeter sans être hérétique. Strauss évidemment n’a ici rien à faire. Serait-ce au dogme ? Réduit à ses lignes essentielles, l’islamisme n’ajoute à la religion naturelle que le prophétisme de Mahomet et une certaine conception de la fatalité qui est moins un article de foi qu’un tour général d’esprit, susceptible d’être convenablement dirigé. Serait-ce à la morale ? On a le choix de quatre sectes également orthodoxes, entre lesquelles le sens moral conserve une honnête part de liberté. Quant au culte, dégagé de quelques superstitions accessoires, il ne peut se comparer pour la simplicité qu’à celui des sectes protestantes les plus épurées. N’a-t-on pas vu au commencement de ce siècle, dans la patrie même de Mahomet, un sectaire provoquer le vaste mouvement politique et religieux des Wahhabites, dont les destinées ne paraissent pas encore terminées, en proclamant que le vrai culte à rendre à Dieu consiste à se prosterner devant l’idée de son existence, que l’invocation de tout intermédiaire ou intercesseur auprès de lui est un acte d’idolâtrie, et que l’action la plus méritoire serait de raser le tombeau du prophète et les mausolées des imans ?