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la suppression totale de la traite; c’est un heureux augure pour l’Afrique, car le commerce légitime est le vrai propagateur de la civilisation. Déjà Whydah, ce vaste foyer de la traite, est devenu l’un des centres où le mouvement du commerce permis a le plus d’activité et de développement. L’importation des graines oléagineuses d’Afrique en France est aujourd’hui l’un des élémens les plus importans de notre navigation. Ce commerce occupe cent cinquante de nos bâtimens et quinze cents de nos matelots. Il est surtout favorable à la France, parce que le résidu des graines pressées est utilisé chez nous comme engrais, ce qui donne aux arachides une valeur plus grande dans nos ports que sur les marchés anglais. Il y a lieu de croire d’ailleurs que le commerce licite est à la veille de prendre une nouvelle extension à Whydah même, avec l’approbation et l’aide du roi Guezo.

M. Monléon raconte qu’ayant fait un jour une promenade hors de la ville avec M. de Souza, il donna à ses porteurs l’ordre de s’arrêter sur une hauteur pour admirer la beauté de l’immense étendue de terrain uni et inculte qui se développait devant lui. Son compagnon, devinant le sujet de ses réflexions, prit la parole : — Commandant, s’écria-t-il, que de trésors perdus dans cette grande plaine! — La réponse du commandant ne se fit pas attendre. — Eh bien! monsieur, supposez quelques milliers de noirs de moins en esclavage aux colonies ou libérés par les croiseurs anglais à Sierra-Leone; placez-les ici, vous qui seul pouvez opérer ce prodige, et vous aurez l’honneur d’avoir mis le premier cette contrée dans la voie de la civilisation. Vous feriez, par la culture de cette terre, pénitence de vos péchés de négrier, péchés qui l’ont si long-temps privée de ses bras naturels. — M. de Souza répondit en souriant que déjà un commandant anglais lui avait conseillé d’abandonner la traite des noirs et de faire le commerce de l’huile de palme, mais qu’il dédaignait ce genre de trafic comme trop peu important pour soutenir sa position dans le pays. Le vieux négrier n’était pas capable de comprendre toute l’étendue des ressources que présente le commerce légal à la côte d’Afrique et tout le développement qu’il est appelé à prendre lorsque l’industrie européenne sera implantée sur ce territoire d’une richesse et d’une fécondité extraordinaires. Depuis la mort de M. de Souza, l’idée de M. Monléon a fait son chemin, et on peut croire que le moment est venu où elle va être réalisée. Déjà même, dans leurs villas entourées de bois d’orangers, les traitans du Dahomey savent faire une large part aux cultures utiles qui produisent des denrées pour l’exportation.

Le commandant Forbes doutait du développement donné à l’agriculture par les traitans de Whydah, et, pour le convaincre, les fils de M. de Souza l’invitèrent à visiter avec eux une plantation située à trois milles de la ville. On partit en hamac, et l’envoyé anglais, à son