anglo-américaine ou par la race noire. C’est à ce point de vue qu’on pouvait dire récemment en Espagne qu’il fallait que Cuba fût espagnole ou africaine. En ce moment même, un des esprits les plus distingués de Cuba, M. Saco, dans une brochure sur la situation politique de son pays, vient de combattre l’idée de l’annexion par des raisons victorieuses. Sous un autre rapport, il considère l’indépendance pure et simple comme impossible aujourd’hui, et même dans un avenir assez éloigné. Le problème se présente aux yeux du publiciste havanais sous un autre aspect.
Le problème consiste, selon M. Saco, dans l’établissement de libertés politiques à Cuba. Si Cuba avait une certaine liberté de presse, des libertés municipales, un conseil délibérant siégeant à la Havane, tout semblerait résolu, tous les périls seraient évités. L’erreur du publiciste cubanais et de ceux qui nourrissent les mêmes idées, c’est d’appliquer un remède politique à des vices de situation qui n’ont rien de politique. Le vice de la situation de l’île de Cuba, c’est la disproportion des races, c’est l’antipathie des classes libres pour le travail, c’est l’inutilité d’un sol merveilleux qui n’a que sa fertilité naturelle le plus souvent et dont les deux tiers sont sans culture, c’est l’absence de voies de communication intérieures propres à faciliter les relations, c’est l’imperfection d’un régime qui livre le capitaliste au propriétaire faute de garanties légales et le propriétaire au capitaliste faute de prévoyance, c’est « l’inextricable labyrinthe dans lequel la propriété foncière se trouve comme perdue, » selon l’observation de M. Vazquez Queipo dans un remarquable rapport sur Cuba. Il n’y a qu’un petit nombre de remèdes possibles à cette situation : c’est l’action lente et intelligente du gouvernement métropolitain en ce qui concerne les réformes du régime administratif et judiciaire, c’est un appel adressé à la population blanche pour fortifier d’un élément civilisateur cette société mal équilibrée. Tel est le sens du rapport de M. Vazquez Queipo. Les progrès les plus essentiels pour Cuba sont des progrès obscurs, pratiques et de tous les instans, dans la législation, dans les mœurs, dans les idées, dans l’éducation intellectuelle et morale. Ce qui est certain, c’est que le jour où quelqu’un de ces progrès deviendrait une menace pour la métropole, la colonie elle-même partagerait à son insu le péril. Telle est la situation de Cuba, qu’elle ne peut demeurer une société indépendante qu’en restant espagnole. Son rôle possible, désirable et légitime, c’est, selon la juste et brillante expression de M. Saco. d’être « un rameau florissant du tronc espagnol. »
CHARLES DE MAZADE.