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pas dû vous imposer la pénible obligation de faire une dernière visite à un mourant, je désirais avec tant d’anxiété vous faire mes sincères remercîmens pour vos bontés envers moi, pour toutes les sortes de bienveillant appui que vous m’avez données dans le cours de ma malheureuse vie, que je n’ai pu vous savoir si près de moi sans vouloir vous assurer de l’invariable respect que j’ai toujours conçu pour votre caractère, et puis vous demander de la manière la plus sérieuse votre pardon (forgiveness). si jamais dans les fluctuations de la politique et la chaleur des partis, j’ai paru à vos yeux en de certains momens de ma vie injuste pour votre grand mérite et oublieux de vos nombreuses bontés. » Tels sont les termes transcrits par Cumberland, qui les avait entendus. Lord Mansfield fit une réponse convenable et parfaitement satisfaisante, mais ne parut pas disposé à prolonger l’entretien. Lord Sackville ne le pressa pas de rester et le laissa partir. Il dit ensuite une fois que c’était fort obligeant de la part de lord Mansfield, puis il n’en parla plus. Quelques jours après, il reçut le sacrement ; mais auparavant il déclara qu’il était en paix avec tout le monde, mais il confessa qu’en un seul point cela lui coûtait un rude effort (in one instance only it cost him a hard struggle). Dans ses dernières paroles à son jeune ami, il dit : « J’ai l’espoir et la confiance d’être préparé pour l’autre vie. Ne me parlez pas de tout ce qui se passe dans la santé et l’orgueil du cœur. Voici le moment où un homme doit être jugé (searched), et rappelez-vous que je meurs, comme vous me voyez, avec une conscience en repos et content. » Il expira le 25 août 1785.

Nous laisserons le lecteur entre les deux versions qui viennent d’être opposées l’une à l’autre, et s’il s’étonne de rester encore dans le doute ou l’ignorance, nous lui dirons avec M. Foster : « On peut imaginer que l’écrivain a voulu vivre jusque dans les temps futurs sous le nom impérial de Junius, de préférence au sien propre, et qu’il a calculé en s’y décidant qu’aucune tache, aucune marque d’abaissement dont pussent triompher les hommes qu’il méprisait, ne sauraient être transportées de son nom réel à ce nom adopté par son orgueil. On peut avec vérité supposer qu’il a senti une sorte de sombre enthousiasme dans cette transmigration pour ainsi dire, dans ce passage d’une personnalité et d’un nom contre lesquels le monde aurait pu prendre ses avantages, à la forme impassible, imposante, vengeresse et immortelle de Junius. »


CHARLES DE REMUSAT.