Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1011

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’objet habituel de ses déférences et de ses sympathies. Notez que les opinions par lui soutenues sur la question de l’Amérique sont en désaccord avec celles que sir Philip Francis, long-temps après, j’en conviens, exprimait à la chambre des communes.

Junius ne paraît revenir à lord Chatham que vers l’époque où il se mêle activement des affaires de la Cité. Chatham alors, par l’intermédiaire de Beckford et de Sawbridge, agitait la ville, et soulevait toutes les puissances municipales à l’appui de l’opposition parlementaire. Junius s’efforce d’unir Sawbridge et Wilkes, duquel il s’est rapproché, après l’avoir tenu d’abord à distance ; mais à cette époque même, on ne le voit ni vanter, ni soutenir, ni seconder les alliances et les combinaisons par lesquelles, dans les deux chambres, l’opposition espérait enfin triompher, et il ne paraît pas entrer dans cette association puissante dont les Pitt, les Grenville, Richmond, Rockingham, Shelburne, Camden, Barré, Dunning, Burke étaient les chefs et les orateurs. Il se tient dans une sorte d’indépendance et d’isolement, et semble traiter avec tout le monde de puissance à puissance. Est-ce bien l’attitude d’un obscur et jeune client de tel ou tel de ces hommes d’état, initié, par un hasard de position, à des intérêts politiques qui ne sont pas les siens, épousant pour un temps leurs sentimens, mais les outrant jusqu’à la violence, et leur prêtant, au grand péril de son repos et de sa sûreté, le secours d’une plume complaisante, qu’il était prêt à briser à la première tentation de la fortune ? D’où lui peut venir cette connaissance de l’intérieur des palais, des actions, des sentimens, des mœurs de la famille royale, de l’éducation et du caractère du roi lui-même, qu’il met souvent en scène, et sur lequel il semble vouloir agir directement, comme sur un homme dont il aurait suivi jour par jour tous les mouvemens ? On dirait qu’il a vécu avec celui qu’il juge, quand il parle de George III. En le peignant, il semble épancher des souvenirs, quelquefois des ressentimens personnels, et adresser quelques-uns de ses traits les plus aigus aux côtés secrets et sensibles du caractère et de la vie d’un monarque dont il n’ignore aucun préjugé, aucun travers, aucune faiblesse. Enfin, si Francis est l’homme que nous cherchons, il faut renoncer aux opinions jusqu’à présent admises sur l’âge, la fortune, la situation sociale de Junius. On a vu qu’il fait entendre dans sa correspondance publique ou privée qu’il est assez avancé dans la vie, qu’il est riche, indépendant de position, destiné a un plus grand avenir, capable de protéger ses amis, et peut-être déjà membre de la chambre des communes. Sir Philip Francis n’était rien de tout cela.

On voudra bien comparer ces diverses considérations avec les faits en quoique sorte matériels qui paraissent établir en sa faveur une certitude quasi judiciaire.