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un gouvernement provisoire prêt à seconder les projets de la légion polonaise-italienne. Toutefois on s’était trop pressé, et la population, étonnée d’abord, prit bientôt parti pour le conseil d’état contre les étrangers audacieux qui violaient si indignement les droits de l’hospitalité.

Malheureusement, l’année suivante, le troisième jubilé de la réformation de Genève, célébré avec beaucoup d’éclat, eut le double inconvénient d’indisposer les catholiques et de mettre tout le peuple en émoi. Les démêlés avec la France au sujet de l’espion Conseil en 1836 et du prince Louis-Napoléon en 1838 contribuèrent à entretenir cette effervescence, d’autant mieux qu’en 1836 comme en 1838, le gouvernement avait vu dans le peuple un appui et non pas un péril ; mais l’illusion ne tarda pas à se dissiper. Quand il n’y eut plus rien à craindre de l’extérieur, les esprits se tournant vers la politique, l’opposition devint tout à coup plus hostile, plus exigeante. Dans le conseil représentatif, elle réclama l’établissement d’une municipalité pour la ville de Genève. Après un débat très animé, cette proposition, déjà repoussée comme tendant à créer un antagonisme dangereux au sein du canton, essuya un nouvel échec ; mais dès-lors les radicaux eurent un prétexte pour fonder une association destinée à éclairer l’opinion publique sur ce point, ainsi que sur quelques autres réformes constitutionnelles. Établie le 3 mars 1841, cette association déclarait vouloir se renfermer dans la légalité la plus stricte ; ses seules armes devaient être la discussion et la presse. Bientôt cependant les mécontens de toutes sortes, les amours-propres froissés, les jaloux et les ambitieux, se groupèrent autour d’elles Ses fondateurs, comme il arrive presque toujours, furent dépassés, le mouvement qu’ils prétendaient diriger les entraîna. Au mois d’octobre de la même année, la question des couvens d’Argovie fut l’objet d’une assemblée populaire dans laquelle on entendit les discours les plus démagogiques, et quelques semaines plus tard, le 21 novembre, éclatait une manifestation tumultueuse qui força le conseil représentatif à changer la loi électorale et à convoquer une assemblée constituante, élue par le suffrage universel.

Le conseil d’état, pris au dépourvu par cette explosion inattendue, et voyant que la milice n’était pas disposée à le soutenir, consentit, avec un dévouement bien digne d’éloges, à rester à la tête du pays comme gouvernement provisoire. L’ordre se rétablit promptement, et les élections pour la constituante se firent sans trop de tumulte. Malgré les efforts des radicaux, elles donnèrent la majorité au parti libéral conservateur. Néanmoins les principes démocratiques furent adoptés comme base de la nouvelle constitution. À la place d’un seul collée électoral, qui comprenait auparavant le canton tout entier, on créa 10 arrondissemens, dont 4 pour la ville et 6 pour la campagne. Le nombre des conseillers d’état, qui était de 25, fut réduit à 13. Au conseil représentatif de 274 députés, qui se renouvelait annuellement par une élection de 30 membres, on substitua un grand conseil de 176 députés, élus pour quatre ans et se renouvelant par moitié tous les deux ans. La ville de Genève fut dotée d’un conseil municipal. Le grand conseil resta chargé de l’élection du conseil d’état, ainsi que du choix des juges et des membres du parquet. Le jury fut introduit dans la cour de justice criminelle. L’organisation de la police fut modifiée et améliorée. Les traitemens des magistrats furent en général augmentés, afin d’en rendre les fonctions plus accessibles à tous, sans pourtant en faire une profession