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année, les industries de toute sorte dont l’Europe elle-même était tributaire ? L’Inde autrefois n’avait-elle pas ses mousselines recherchées, ses soieries ? S’il lui reste encore ses cachemires, dont le style et la beauté originale se perdent de plus en plus, c’est à ses troupeaux seuls qu’elle le doit : cet immense et riche pays est partout couvert de traces d’un art élégant et grandiose qu’il faudra bientôt chercher parmi les ruines. La Perse, dont les toiles, les velours, les brocarts d’or et d’argent faisaient l’admiration et l’envie des Européens, a renoncé à ces riches étoffes pour se vêtir de draps grossiers ou de cotonnades anglaises.

Nous ne fîmes que passer à Kachân, et nous fûmes bientôt à notre dernière étape, au village de Guez, situé à trois heures d’Ispahan. Il fallut faire étape, dans ce village pour donner le temps aux autorités persanes de préparer la réception qui nous attendait. Devant nous se dessinait, sur un ciel pur, la silhouette sévère des montagnes au pied desquelles s’étend la magnifique ville de Châh-Abbas. Les paysans de Guez ont exécuté des travaux vraiment dignes d’admiration pour amener l’eau dans leurs champs en lui faisant parcourir sous terre des distances considérables ; nous avions déjà eu occasion, en plusieurs endroits, de remarquer ces canaux, mais nulle part nous ne les avions encore vus pratiqués sur une aussi grande étendue et avec autant d’art. Ces aqueducs, qu’on nomme kehridjs, sont des souterrains immenses qui ont quelquefois une longueur de plusieurs farsaks[1] ; ils sont assez larges et assez hauts pour permettre aux travailleurs d’y circuler facilement ; ils sont simplement creusés et comme forés dans le sol que l’on taille en voûte, à la partie supérieure, pour lui laisser de la solidité ; de distante en distance, on fait une ouverture, en forme de puits, par laquelle on peut descendre dans l’aqueduc et y faire les réparations convenables, ou plutôt le dégager des terres qui s’éboulent fréquemment et obstruent le passage des eaux. C’est à ces sources factices que les cultivateurs puisent l’eau nécessaire à l’arrosement de leurs terres.

La Perse étant généralement privée d’eau, il a fallu que l’art y vînt suppléer la nature. Les fleuves et les rivières y sont très rares, on ne les rencontre que dans les contrées montagneuses ; il y en a un très petit nombre qui prennent leur cours dans les plaines, et, presque sans exception, toutes les rivières qui s’y sont formé un lit finissent tôt ou tard par tarir. Il faut attribuer cette singularité à plusieurs causes : la grande sécheresse du climat rend la terre très avide ; il en résulte qu’elle absorbe, sur les bords des rivières, une grande quantité d’eau qui s’y infiltre et diminue d’autant la masse fluviale. La culture, si

  1. Un farsak équivaut à peu près à six kilomètres.