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mais qui, une fois admis, expliquent ce qu’il y a de mystérieux et de contradictoire dans la destinée de l’homme.

Ce qui fait la grandeur du christianisme en effet, c’est qu’à la lumière de ses dogmes, les choses les plus incompréhensibles de notre nature trouvent une justification ; prennent un sens et se coordonnent. Supprimez le dogme chrétien de la déchéance pour le remplacer par le dogme de la bonté absolue et innée de l’homme : est-ce que la loi universelle et invincible du travail et de la douleur ne sera point une insupportable injustice ? Le mal lui-même vous apparaîtra-t-il autrement que comme un fait, partout visible et partout inexpliqué ? M. Donoso Cortès a raison lorsqu’il fait du problème de la nature de l’homme le premier objet de ses recherches, car selon la solution, chrétienne ou révolutionnaire, catholique ou socialiste, que reçoit cette question, il s’en dégage tout un ordre différent de déductions dans les institutions sociales et politiques comme dans la philosophie. L’étude de ces déductions différentes fait le sujet même de l’Essai sur le catholicisme ; une dialectique enflammée poursuit les systèmes socialistes qui nient tout ce que le christianisme affirme et affirment tout ce que le christianisme nie. Esprit absolu, je le disais, M. Donoso Cortès va droit aux extrémités de ces redoutables questions ; les nuances s’effacent pour lui ; il place le monde entre le socialisme et le catholicisme. C’est une alternative faite pour frapper une grande imagination. N’est-il pas seulement à craindre que l’instinct exalté de ce qu’il y a de destructif dans les philosophies révolutionnaires et l’entraînement d’un esprit ardent ne précipitent l’auteur, dans ses interprétations catholiques, vers des conséquences périlleuses ?

La liberté humaine est une pauvre humiliée aujourd’hui qui a commis bien des fautes et qui en porte la peine. Le talent lui-même, le plus rare talent peut mettre une sorte de haute ironie à montrer par des exemples contemporains girelle triste affinité existe entre la raison de l’homme et l’absurde ; mais enfin raison et liberté ont leur place et leur action nécessaires dans le monde moral, elles ont un certain degré d’indépendance qui se lie à l’idée de mérite et de démérite. — Raison et liberté ne peuvent rien par elles-mêmes, dit M. Donoso Cortès, et quand elles agissent, c’est peur amener naturellement et nécessairement le triomphe du mal dans le monde ; elles peuvent tout, et c’est par elles que se réalise le bien absolu, dit le socialisme. — D’après les socialistes, l’homme dans son progrès continu, arrive à absorber Dieu, à le supprimer comme malfaisant ou inutile. — Selon M. Donoso Cortès, le bien n’est possible que par l’action surnaturelle de la Providence ; le progrès ne résulte que de l’assujettissement absolu de l’élément humain à l’élément divin : c’est Dieu qui absorbe l’homme. N’est-on pas frappé d’une singulière identité de résultats obtenus par des voies si contraires ? Des deux côtés, l’un des termes est supprimé dans le grand problème : Dieu ou l’homme. — Quand je vois ces vigoureuses et éclatantes reconstructions de systèmes qui embrassent tous les problèmes du monde moral et se présentent dans des termes absolus, je sens bien quelle utilité il peut y avoir à ce qu’il soit proféré en certains momens de telles paroles pour nous rappeler aux hautes conjectures sur nos destinées, et il est en même temps une question que je me fais avec anxiété : Quelle est la conclusion pratique à en tirer, dans les conditions de la réalité actuelle, pour la direction de nos efforts est le choix de nos moyens ? M. Donoso Cortès a déjà répondu quant à lui : Les