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de la gloire les crimes de la révolution française ; on ’accepte plus maintenant ces images de grande bataille, et des œuvres sérieuses sont consacrées à dissiper cette confusion entre l’héroïsme de nos soldats et la fureur sanguinaire des bourreaux. Ce qu’on aimait à rechercher et à peindre dans un Mirabeau, c’était le tribun et le factieux intimant à la royauté humiliée les volontés populaires ; maintenant, c’est l’homme d’état, malgré ses souillures, s’efforçant de retenir sur son penchant la monarchie croulante. Dans le symbole de nos croyances, notre premier acte de foi était pour la raison humaine ; peut-être serait-il aujourd’hui pour la mystérieuse puissance de la vérité religieuse. Cela est bien simple : hommes, idées, institutions, conditions de la vie morale ou politique, — tout nous apparaît sous une inclinaison différente, et nous sommes les premiers à revenir sur nos jugemens, à réformer nos admirations, à outrager même, s’il faut le dire, nos illusions d’autrefois. Mon Dieu, quand des hommes d’un esprit rare et pénétrant veulent bien transiger avec leur temps en avouant quelques-uns des bienfaits de la société moderne ; il n’est pas sûr que bien des gens leur en sachent gré, et n’y voient une coupable condescendance. Bien des écrits de philosophie, de politique ou d’histoire rendent témoignage de cette situation ; ils reproduisent dans une mesure inégale de talent les nuances diverses de ce mouvement de réaction. Deux choses en ressortent encore avec évidence à travers les emportemens mêmes par lesquels l’opinion manifeste parfois ses retours c’est qu’il y a des vérités inaliénables, traditionnelles de la civilisation vers lesquelles la société se sent invinciblement ramenée sous le feu des assauts révolutionnaires, et qu’il est en même temps des progrès réels courageusement accomplis dont elle ne saurait se dessaisir. Voilà pourquoi la société veut bien qu’on maudisse la révolution, et contraint, d’un autre côté, les plus intrépides penseurs, pour arriver aux choses possibles, de compter avec quelques-unes de ces réalités légitimes dont 1789 portait le germe. La société est aujourd’hui, sauf quelque degré de plus peut-être dans le péril, ce qu’elle était en 1800, lorsque la main du premier consul venait la rasseoir victorieusement sur ses bases ; les mêmes tendances sont encore aux prises. Cette analogie de situation, elle a été rendue plus palpable et plus saisissante dans l’ordre politique, par la résurrection imprévue de l’ascendant d’un même nom. Je ne sais quel concours de circonstances fait reparaître aussi les mêmes noms dans l’ordre intellectuel, à un demi-siècle de distance. Joseph de Maistre était le premier, en 1796, à s’élever en adversaire inflexible contre la révolution française ; — nul penseur peut-être n’a été plus étudié, plus interrogé, plus commenté que lui depuis quelques années, et il s’est trouvé qu’une publication inattendue de ses lettres les plus intimes est venue le ramener avec nue sotte de nouveauté dans la mêlée contemporaine, et attacher à sa mémoire un genre d’intérêt que j’essaierai de définir en le montrant encore en opposition avec notre temps par un point que je voudrais indiquer.

Les Lettres de Joseph de Maistre n’ajoutent rien à l’idée qu’on se faisait du penseur. Qui ne connaît ses doctrines dans ce qu’elles ont d’altier et d’absolu, d’extrême et de subtil parfois ? Qui ne fait la part des mâles coups d’œil et des aperçus excessifs ? Ce que j’admire dans ces lettres, c’est l’homme même, supérieur peut-être encore à l’écrivain et au philosophe. Un des plus tristes fruits de l’esprit révolutionnaire, c’est justement qu’il détruit l’homme, si