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L’aveuglement du peuple vaudois se dissipe ; il ne pouvait en effet qu’être passager, comme les causes qui l’ont produit. Après la guerre du Sonderbund, l’effervescence s’est calmée peu à peu, et l’on a envisagé plus froidement les prétendus bienfaits du régime révolutionnaire. Or, sans être le moins du monde réactionnaire, tout citoyen personnellement désintéressé dans la question doit arriver tôt ou tard à reconnaître que le pays a plus perdu que gagné, soit au point de vue matériel, soit au point de vue intellectuel et moral. Malgré l’augmentation des impôts, la situation financière est loin de s’être améliorée. Lausanne a vu diminuer le lustre de son académie et la plupart de ses notabilités scientifiques ou littéraires obligées de s’expatrier pour aller chercher fortune ailleurs. Le respect et la considération, ces deux élémens de l’autorité, indispensables surtout dans une république, ont subi de rudes atteintes. L’église nationale n’a pu subsister qu’en se résignant à courber la tête sous le joug que lui impose l’omnipotence du conseil d’état. Enfin l’on s’est aperçu que l’ordre et la liberté souffraient également d’un pareil état de choses, et, chez les esprits même les plus prévenus, il s’est opéré un retour assez marqué vers des idées de conciliation et de justice. Aussi, quoique le gouvernement ait encore la majorité dans le grand conseil, les dernières élections ont prouvé qu’elle ne lui était plus aussi inféodée dans le pays, et que, s’il veut se maintenir, il faut renoncer à cet exclusivisme dont il n’a que trop abusé déjà.

Après cet échec, on peut prédire la chute du système radical dans le canton de Vaud, et le socialisme, malgré ses efforts pour lui succéder, ne paraît pas avoir de chances ; ce sera donc au parti libéral conservateur qu’appartiendra tôt ou tard l’héritage politique des radicaux, qui, dans le pays de Vaud comme partout en Europe, n’auront marqué leur passage au pouvoir que par des ruines.


II. – GENEVE AVANT ET DEPUIS LA REVOLUTION DU 7 OCTOBRE 1846.

« On ne peut nier que les vingt-cinq années antérieures à 1840 n’aient été pour Genève une époque de progrès, » écrivait M. James Fazy en 1840[1]. Or, M. Fazy ne pouvait certes pas être soupçonné de partialité pour un régime qu’il aspirait à renverser, et que plus tard il représenta comme ayant tait subir au peuple vingt-sept années de tyrannie et d’oppression. Ce témoignage arraché par l’évidence mérite d’être conservé pour servir de point de comparaison à l’historien qui voudrait apprécier la conduite de M. Fazy comme chef de parti d’abord, ensuite comme président de la république genevoise.

En recouvrant son indépendance après la chute de l’empire français, Genève se vit obligée d’accepter, avec un agrandissement de territoire, une population toute catholique, qui changea la cité protestante en un canton mixte. Un projet de constitution présenté par le gouvernement provisoire fut soumis au vote de tous les citoyens âgés de vingt-cinq ans au moins et accepté par 2,444 suffrages contre 334. Cette constitution n’était pas très démocratique ; elle établissait un cens d’environ 30 francs, créait des magistratures nombreuses et fort peu rétribuées, et n’admettait point l’action directe de la souveraineté du peuple ; mais elle ouvrait la porte à toutes les modifications qui

  1. Revue de Genève, 1ère livraison, Genève, 1840 ; c’était alors un recueil mensuel.