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REVUE LITTERAIRE.

I. Lettres et Opuscules inédits de Joseph de Maistre, 2 vol. 1851.
II. Essai sur le Catholicisme, le Libéralisme et le Socialisme, par M. Donoso Cortes ; 1 vol. 1851.

III. Histoire des Origines du gouvernement représentatif, par M. Guizot ; 2 vol. 1851.

Chaque moment, dans un siècle qui marche d’un pas aussi précipité que le nôtre, est plein de symptômes et de faits révélateurs. Il peut suffire aujourd’hui au regard le plus inattentif de se promener sur le monde moral pour être frappé d’un phénomène digne de méditation : c’est le spectacle d’un mouvement révolutionnaire se déroulant avec une suite invincible, secondé souvent par ceux mêmes qui ne l’aiment pas, favorisé par une société oublieuse, et déterminant dans son triomphe le plus complet et le plus imprévu une réaction qui atteint jusqu’à son principe, et menace d’envelopper le bien et le mal accomplis depuis soixante ans. Il en résulte, dans l’ensemble des tendances et des idées contemporaines, un revirement à peu près semblable à un changement de front entre deux armées en présence ; l’impulsion morale se déplace, et l’attitude respective des opinions se trouve sensiblement modifiée. Ainsi il est visible, par exemple, que tout ce qui tient à la révolution a baissé depuis février dans l’estime et dans les croyances du monde : elle est dans les faits, dans les institutions, — elle n’a plus autant que par le passé le culte de beaucoup d’esprits élevés et virils, Ce mot même de révolution a cessé d’être l’illusion des ames généreuses pour rester la proie de quelques étourdis bavards ou de quelques mystiques sinistres. Il ne s’allie plus d’une manière générale à une idée de progrès ; il éveille l’idée de la destruction, et il effraie. Je ne nie pas la puissance des systèmes révolutionnaires comme excitation permanente adressée aux passions des multitudes : je constate leur déclin dans le domaine intellectuel, leur irrémédiable déchéance comme systèmes ayant don de vie et d’action morale. Les doctrines plus modérées elles-mêmes qui passaient pour dominante il y a quelques années, et qui étaient effectivement la règle la plus usuelle des intelligences, subissent en ce moment le discrédit d’une défaite et sont réduites à se défendre au lieu de régner. Aujourd’hui le plus grand effort du libéralisme pour reconquérir son ascendant, c’est de chercher à prouver qu’il ne se confond point avec l’esprit révolutionnaire : c’est là ce que j’appelle une attitude défensive devant le sentiment public inquiet et troublé, qui ne l’entoure plus de la même popularité et ne lui fait point écho.

Est-il bien sûr même que l’on comprenne encore le libéralisme ? N’est-il pas évident, au contraire, qu’il règne dans l’atmosphère actuelle comme un courant favorable à l’expression des idées les plus opposées aux idées issues de la révolution, et que, dans le démêlé des opinions, l’offensive appartient à celles qui ne reculent devant aucune des conséquences du dogme absolu de conservation ? La réalité prête facilement un appui et des armes à ces chercheurs ardens des lois suprêmes de l’ordre, qui ne parviennent souvent à les découvrir que dans les conditions les plus extrêmes fût-ce aux confins de la théocratie. Quiconque parlait de liberté il y a quelques années était sûr de faire vibrer un instinct universel. Quiconque parle aujourd’hui d’autorité rencontre les mêmes sympathies. On se laissait volontiers aller autrefois à mettre à l’abri de la nécessité ou