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en faveur de la grande majorité des sujets prussiens ; ils sacrifient cette majorité à une minorité improductive et hargneuse. — Mais, écoutez-les, ce n’est point par passion, c’est par conscience ; ils doivent leurs leçons au pays ; ils sont responsables de son éducation, ils l’enseignent. Toutes les mesures qu’ils prennent comme pour le froisser à plaisir devraient au contraire, à leur sens, lui ouvrir les yeux et le faire rentrer en lui-même ; ils sont plus encore des catéchistes et des hommes d’école que des hommes de parti.

Ne nous y trompons pas, cette direction d’esprit est trop essentiellement inhérente à la nature allemande pour qu’on puisse la reprocher comme un tort très personnel, comme une hypocrisie très particulière aux pieux convertisseurs qui précèdent et guident en Prusse l’invasion beaucoup moins cérémonieuse des hobereaux. Les Allemands naissent doctrinaires la démocratie, comme l’absolutisme, tourne aisément chez eux à n’être plus que de la science pure. Nous lisions, par exemple, l’autre jour, qu’on venait de fonder à Adélaïde une Gazette allemande de l’Australie du sud. L’Australie est un pays où il n’y a guère encore pour un émigrant que deux manières de gagner son pain s’engager comme berger ou comme boucher ; on y passe sa vie dans les champs ou à l’abattoir. Devinez de quoi parlent ces nouveaux journalistes à leurs compatriotes ainsi occupés. Voici le sommaire de quelques numéros : L’état.- Des rapports de l’église avec l’état. — La Prusse depuis l’année 1843. — Responsabilité de tous en tout. — Le droit de la révolution, etc. Quant au cours commercial des viandes, des laines et des cuirs, c’est à peine s’il se glisse honteusement au milieu de ces belles choses. El voici un échantillon du style germanique, même transporté dans l’autre hémisphère : — « L’état est un organisme ; mais, si l’état est un organisme, il ne s’ensuit pas que le moment de l’unité nécessaire à tout organisme doive y dominer avec une rigueur abstraite ; il ne s’ensuit pas davantage que le moment de la pluralité doive y anéantir son contraire, etc. » Il est vrai que l’éditeur déclare par avance en tête de sa feuille qu’elle sera souverainement un organe de tendance, et que, parmi les variétés d’états qu’il énumère, il en compte un qu’il appelle l’idéocratie. C’est peut-être l’idéocratie qu’il espère -implanter au milieu des colons australiens.

Sérieusement, ce n’est pas pour rien que nous allons chercher si loin ce modèle de métaphysique ; nous l’offrons comme un terme indispensable dans une comparaison que nous nous permettons de risquer. Les doctrinaires de Potsdam et le plus illustre de tous à leur tête ne sont pas beaucoup moins en dehors de la réalité que les obscurs doctrinaires de l’émigration australienne. Le roi Frédéric-Guillaume IV appartient corps et ame à une tendance qui n’est pas la même sans doute, mais qui n’est pas plus pratique que celle de la Gazette de l’Australie du sud ; il veut, lui aussi, voir un jour s’élever pour le parfait contentement de son cœur cet état qui serait bien l’état allemand par excellence, si seulement l’Allemagne en pouvait, accoucher, — l’état ideocratique. Il poursuit donc de son mieux l’avènement de son idéocratie, et il ne s’épargne point pour y rallier les intelligences rebelles de son peuple. Ce voyage du roi en Westphalie et sur le Rhin ressemble de point en point à un cours de politique conservatrice ; le mal est que le professeur ne sort pas de son système, et que, ne touchant pas terre, il est trop étranger à l’auditoire. C’est un des traits les plus accentués de la physionomie si caractérisée du monarque