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esprit souple et qui ne manque ni de vivacité ni de finesse. C’est une de ces natures desquelles on peut attendre les évolutions les plus étranges ; son passé nous le prouve déjà, et comme son idée favorite est de représenter toujours l’opinion de la majorité, quelle qu’elle soit, si celle-ci devient réactionnaire, il ne sera, sans doute ni le dernier ni le moins ardent à revenir aux principes sous le drapeau desquels il fit ses premières armes dans la lice parlementaire.

Privés de leur chef par l’avènement de M. Druey à la présidence, les radicaux vaudois n’ont pas tardé à se diviser. L’élément révolutionnaire, inclinant de plus en plus au socialisme, a formé un parti plus avancé, qui sympathise ouvertement avec la cause du radicalisme européen et voudrait que la Suisse renonçât à sa politique de neutralité. De là des déchiremens dans le sein même de la société patriotique, où le gouvernement ne trouve plus l’appui qui avait d’abord fait sa principale force. Une opposition âpre et remuante a surgi du milieu des radicaux, tandis que les conservateurs voyaient leurs rangs se grossir d’un certain nombre de gens honnêtes, désillusionnés par les actes de violence et d’injustice qui se sont multipliés sous le nouveau régime[1]. Las d’agitation, le peuple commence à ouvrir les yeux sur la véritable portée de tout ce charlatanisme démocratique, dont le résultat le plus clair est d’avoir satisfait l’ambition de quelques meneurs aux dépens de la prospérité et de la moralité publiques. Tout récemment, une question assez délicate, celle des incompatibilités, soulevée à l’occasion des nombreux employés de l’état qui figuraient dans la majorité du grand conseil, a dû lui être soumise. Le gouvernement aurait bien voulu éluder cette épreuve, mais des pétitions appuyées par les deux partis opposans l’ont forcé de s’y prêter ; il a fallu se résigner à la terrible obligation de consulter le peuple. La votation s’est faite avec calme et une majorité des deux tiers a prononcé que le conseil d’état ne pourrait plus peupler le grand conseil de fonctionnaires dont l’existence dépend de lui. Par suite de ce vote, on a dû procéder au renouvellement partiel du grand conseil pour remplacer ceux des députés qui, mis en demeure de choisir entre leurs fonctions législatives et leurs emplois salariés, se sont prononcés pour ceux-ci. Le résultat des nouvelles élections, faites dans des districts qui avaient jusque-là des représentans radicaux, s’est trouvé en grande partie favorable aux conservateurs. Il est évident que l’opinion publique commence à se modifier.

  1. L’affluence des réfugiés politiques n’a pas peu contribué à produire ce double mouvement. Lausanne étant devenue le séjour de plusieurs des principaux chefs italiens et allemands, il s’y forma d’abord autour d’eux un noyau de mécontens que la conduite du pouvoir fédéral vis-à-vis des révolutionnaires étrangers irritait, et qui blâmaient à haute voix l’empressement docile des autorités vaudoises à exécuter ses ordres. À plusieurs reprises, Mazzini, défiant la surveillance de la police, y vint animer par sa présence et par ses paroles des réunions où d’ardens radicaux vaudois sympathisaient avec toutes les espérances des réfugiés. Son journal, l’Italia del Popolo, s’est publié à Lausanne en 1849, 1850 et dans les premiers mois de 1851. La même imprimerie qui l’éditait avait déjà en 1846 et 1847, fait d’assez nombreuses publications destinées à exciter et entretenir l’agitation des esprits en Italie. C’était comme une espèce de succursale de la grande typographie de Capolago, qui, de l’extrême frontière du Tessin, répandait à profusion da la Lombardie, dans les états du pape et dans le Piémont, les écrits qu’on n’aurait p pu faire imprimer au-delà des Alpes. Lausanne se trouvait moins bien placée ; ses relations avec l’Italie étaient plus difficiles, et l’établissement n’a pu prospérer.