Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/948

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vie publique. À moins d’une trempe assez vigoureuse, le représentant du peuple, dès qu’il siège sur son banc, ne peut guère se défendre contre l’obsession des infiniment petits de l’existence parlementaire. Il est presque inévitable qu’il s’enrégimente, et comme il y a maintenant beaucoup de colonels et très peu de soldats, les régimens sont trop nombreux pour être bien forts. Le voilà donc engagé dans les marches et les contre-marches de cette tactique de détail où tout ensemble disparaît, où il n’y a plus de signe assez frappant pour saisir, pour commander l’intérêt du pays. Les motifs particuliers vont infailliblement tenir dans sa conduite presque autant de place que les motifs d’ordre supérieur, et ceux-là ne sont point d’ordinaire à la portée du public. Il sera d’une fraction quelconque ou même d’un groupe dans une fraction, heureux encore si, aux rencontres décisives, cette fraction à laquelle il est incorporé ne s’avise pas de rompre en visière avec le sentiment unanime de la nation ! Combien de raisons plus raffinées et plus spéciales les unes que les autres n’ont pas dû concourir pour former la majorité qui a voté, sans pouvoir l’obtenir, cette révision que la France demande, quant à elle, par une raison si impérieuse et si grosse, par la suprême raison du salut commun !

En effet, pendant que la politique proprement dite s’épuise dans les dissidences et les controverses des partis, la France, nous ne saurions le répéter trop souvent, simplifie toujours davantage ses espérances et ses ambitions. Pendant que les partis rivalisent de combinaisons ingénieuses pour lui assurer à qui mieux mieux un très long avenir, la France est par-dessus tout préoccupée du souci bien plus pressant de ne pas se laisser périr demain. Le représentant du peuple membre d’un conseil-général qui revient de Paris dans son chef-lieu, la tête pleine des fumées et des bruits de la session, voit bientôt le peu que tout cela signifie, quand on est en présence de la réalité. Le monde où il a séjourné n’est pas toujours le monde réel : ses collègues au contraire, qui sont restés au cœur même du pays, qui n’ont pas quitté le foyer de la vie pratique, en apportent au conseil les impressions et les inspirations. Ils ne sont pas sans doute très au courant des rumeurs de couloirs et des intrigues de bureaux, mais ils savent mieux ce qui se dit dans les cantons les jours de fête ou de marché ; ils ont suivi de plus près, à travers toutes ses phases, l’état moral des différentes classes de la population au milieu de laquelle ils habitent. Cet immense besoin d’en finir, qui est aujourd’hui le dernier mot de la vraie pensée populaire, s’énonce ainsi par leur bouche avec une vivacité naturelle. Les conseils-généraux, en vertu même de leur composition, ont donc l’avantage de rendre plus directement la pensée dominante du pays, parce qu’ils échappent aux entraves qui la gênent dans des régions plus élevées. C’est, cet avantage nouveau qui leur donné la prépondérance dont on peut bien leur contester l’usage, mais dont ils ont pourtant la pleine possession.

À quoi l’on objecte que cette pensée étant d’ordre politique, les conseils-généraux n’ont point qualité pour la produire, et que la cause de la révision perd plus qu’elle ne gagne à être ainsi sollicitée. Oui, sans doute, il n’y aurait rien de plus funeste, dans la dissolution qui nous menace, que de laisser le gouvernement politique s’éparpiller aux quatre vents et se réfugier à tous les coins du territoire français. Rien ne serait plus contraire au génie, à l’histoire entière de la France : aussi, peut-on affirmer que la France elle-même ne se prêterait point à ce démembrement