Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/942

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cours d’archéologie sacrée qui se recommande par des qualités sérieuses ; mais il nous semble que M. Godard juge beaucoup trop sévèrement la renaissance. Admirateur passionné du style architectonique du XIIIe siècle, il veut le faire revivre dans les constructions modernes, et il présente un devis d’église dans ce style pour une commune de mille habitans, car son cours, comme tous ceux qui sont professés dans les écoles ecclésiastiques, n’a point seulement pour but de faire connaître le passé au simple point de vue de la curiosité érudite, mais aussi de mettre les membres du jeune clergé parfaitement à même de diriger des travaux d’architecture religieuse, et de défendre les édifices consacrés au culte contre les restaurations inintelligentes.

Dans le département de Seine-et-Marne, qui fît primitivement partie de la Champagne et qui appartint ensuite à l’Ile-de-France, Provins est par excellence la ville de la polémique historique et archéologique, et la querelle date de loin. Voici à quelle occasion : César parle dans ses Commentaires d’une ville puissante du pays des Sennonais, Agendicum, qu’un chef gaulois du nom d’Acon défendit vaillamment contre Labienus, de la résistance opiniâtre que lui-même, César, éprouva dans cette contrée belliqueuse, du traitement cruel qu’il fit subir aux habitans, et de l’héroïsme du dernier des chefs gaulois de cette contre, Drapès, qui, après la défaite, aima mieux se laisser mourir de faim que de vivre esclave. Il y avait là dans ces glorieux souvenirs de quoi éveiller bien des vanités locales ; aussi Sens et Provins se disputèrent-elles l’honneur, d’être l’antique Agendicum. On commença par discuter sur l’étymologie du nom de la vile gallo-romaine : les uns découvrirent que ce nom venait d’agenda dicere, dire les choses qu’il faut faire ; les autres, d’Agendicum Castellum, château dans lequel se trouvaient les moyens de faire la guerre, in quo erant rationes agendi in bello. Enfin, en 1789, la municipalité de Sens décida, sans s’occuper des questions étymologiques, que cette dernière ville était bien réellement la vaillante cité mentionnée par César et, adoptant le martyr de l’indépendance gauloise pour un de ses enfans, elle donna à l’ancienne place du Cloître le nom de place Drapès. L’amour-propre des Provinois s’émut de cette décision : ils se déclarèrent Agendiciens, et ils entrèrent en campagne, ou plutôt ils recommencèrent une guerre qui remontait au XVIe siècle. Vers 1818, lin ancien conventionnel, M. Opoix, raviva de nouveau la querelle en cherchant à démontrer qu’Agendicum et Provins étaient une seule et même ville, et de plus que cette ville, à un certain moment de l’histoire qu’il n’est point facile de déterminer, avait pris le nom d’Anatilorum, qui se compose des mots Anas, canard, et Lorum, courroie, ce qui veut dire qu’on y élevait de très bons canards et qu’on y préparait fort bien les cuirs. La dissertation de M. Opoix ; quoique complètement dénuée de vraisemblance historique, fit sensation dans le département de Seine-et-Marne : elle eut trois éditions, et l’opinion de l’auteur fut soutenue très chaudement par MM. Achaintre, Barrau, Doë, Thiérion, Opoix fils et Cénégal, et non moins chaudement contredite par M. Allou, aujourd’hui évêque de Meaux, dont le mémoire a été imprimé en 1846 dans le Bulletin de la Société archéologique de Sens, et par MM. Pacques, Victor Petit et Félix Bourquelot. Il y eut dans ce tournoi d’érudition de moult belles appertises d’armes, comme on eût dit au moyen-âge, et les coups les plus rudes furent portés par M. Bourquelot, qui démontra d’une manière irrécusable, dans son histoire de Provins, que cette ville n’est pas plus