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Si, au moment de quitter l’industrieuse région flamande, nous jetons un regard sur l’ensemble du pays parcouru, nous pourrons remarquer quelques points saillans qui se dégagent de la variété des situations. Une première observation se présente : depuis 1848, à mesure que les ateliers se rouvraient, à mesure que le travail reprenait son essor, l’agitation perdait du terrain. Dans les grands centres industriels, de larges améliorations ont été obtenues sous ce rapport ; la population laborieuse a été, pour ainsi dire, arrachée à l’influence anarchique qui l’avait entraînée si loin de ses intérêts réels. Dans les égaremens de 1848, les masses ont trouvé une sévère leçon, celle de la misère subie au sein d’un universel chômage. Cette leçon n’a pas été perdue pour elles : si les populations ouvrières ressemblent toujours a une mer immense dont une crise économique, traînant après elle l’oisiveté et la misère, pourrait encore bouleverser les flots, du moins ont-elles échappé à cet esprit d’agitation quotidienne qui les rendait accessibles à tous les entraînemens.

Le socialisme ne s’est pas présenté dans cette contrée en déployant franchement son drapeau et en présentant aux regards ses principes et leurs conséquences. Comme doctrine sociale, il demeure un livre fermé pour les ouvriers, incapables qu’ils sont de se reconnaître dans le dédale des sectes qui le composent. Le plus souvent il se voile sous la critique de l’ordre économique existant. Malgré ce déguisement l’immense majorité des populations laborieuses résiste instinctivement aux applications exagérées des idées d’association. L’individualité humaine est un instinct si naturel et si invincible, qu’elle refuse, même chez les esprits incultes, de se rendre aux plus séduisantes promesses. À mesure que les ouvriers s’instruisent davantage, qu’ils envisagent de plus près la vie sociale, ils apprennent à mieux distinguer le champ du possible du pur domaine des rêves. Chacun tient à ce qu’il a le plus pauvre comprend que son travail est sa richesse. Or, pour appliquer ses facultés et recevoir le prix de ses labeurs, n’a-t-il pas besoin de l’ordre dans la société ? Que les ouvriers se laissent aller parfois à des désirs excessifs et accueillent encore, comme à Sedan, de chimériques espérances, c’est malheureusement incontestable. Dans la région flamande cependant, les impressions populaires n’ont pas la même vivacité que dans d’autres contrées de la France. Il est ici plus facile d’éclairer, de guider les masses dans leurs aspirations vers un sort plus heureux. La justice et la prudence politique commandent également d’aplanir devant leurs pas les aspérités du chemin. En leur montrant que le travail est la source féconde de toute amélioration, la société, et la société seule, peut, avec le temps, réaliser ce qu’il y a dans leurs vœux de légitime et de possible.