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est universel, on voit tout de suite quels heureux effets peut produire une mesure qui fournit à l’ouvrier une occupation attrayante et productive. Les heures données à la culture sont prises au cabaret. Plaise à Dieu que la ville attende long-temps des acquéreurs et puisse laisser à ces terres une si bienfaisante destination !

Le socialisme ne se révèle dans la fabrique de Saint-Quentin par aucune institution spéciale ; mais il y compte des représentans isolés dont quelques-uns exercent une réelle influence. En général, la politique a le cabaret pour théâtre ; les maîtres de l’opinion sont les cabaretiers ; Ils choisissent le journal que reçoit leur maison, et le commentent à leur manière. Bien que les ouvriers sachent presque tous lire ; ils lisent peu la polémique et se contentent du commentaire qu’on leur en fait. Les journaux reçus dans les cabarets appartiennent presque toue à l’opinion radicale. Les votes électoraux se ressentiraient à l’occasion de cette influence à laquelle échappent pourtant les actes de la vie habituelle : Au fond, les ouvriers restent complètement en dehors de l’idée socialiste, parce qu’il n’y a point de place dans leur ame pour le désir de révolutionner l’industrie en lui imposant l’association de tous les élémens qui concourent à la production.

Cette dernière pensée, la pensée fondamentale du socialisme, s’est, au contraire, fait jour en une certaine mesure dans la fabrique de Sedan. Les masses n’y comprennent pas, il est vrai la doctrine même envisagée comme théorie sociale ; mais elles accueillent avec faveur, en matière d’association, de vagues aspirations qui en dérivent. Dans aucune autre ville du nord de la France, on ne trouve, au point de vue moral, autant de contrastes que dans cette industrieuse cité des Ardennes. Sous beaucoup de rapports, la situation des esprits y est satisfaisante. L’ivrognerie a pu être radicalement extirpée, grace au bon sens des populations et à la fermeté des chefs d’usine. Un ouvrier ivre est à Sedan une singularité. On y affectionne la vie de famille ; le plaisir préféré consiste dans des promenades qui ont un objet tout spécial. Beaucoup d’ouvriers louent sur les anciennes fortifications de la ville un petit jardin dont le prix varie de 10 à 15 francs par an ; ils s’y rendent tous les dimanches pendant l’été avec leurs femmes et leurs enfans. On y dîne sur un coin de gazon, et le père ramène le soir sa famille au logis, cent fois plus heureux, cent fois mieux préparé à reprendre son travail le lendemain que s’il avait passé, comme ailleurs, sa journée au cabaret. Les habitudes religieuses ne sont pas non plus entièrement abandonnées. Les parens apportent un soin particulier à l’éducation de leurs enfans. Un fait digne d’être mis en relief se produit sous ce rapport. La municipalité sedanaise, qui, en 1848, a eu le tort de rayer du budget communal les écoles chrétiennes, entretient trois classes d’enseignement mutuel complètement gratuites ; les ouvriers n’y envoient