plaisir de boire la jouissance préférée. Comme le vin est cher dans le pays, bien qu’on y soit fort rapproché des contrées viticoles, on s’enivre avec de la bière ou avec des boissons alcooliques de mauvaise qualité, qui donnent à l’ivresse un caractère particulier de pesanteur et d’abrutissement. On aurait pu s’attendre au premier abord, en n’apercevant ici de sociétés d’aucune espèce, que le vide laissé par l’esprit d’association serait rempli par l’esprit de famille ; mais non : c’est le cabaret, comme on vient de le voir, qui accapare toutes les heures dérobées au travail.
La ville de Saint-Quentin est entourée de promenades verdoyantes ; bâtie sur le flanc d’un coteau elle est dominée.par une plate-forme couverte d’arbres magnifiques, et d’où la vue peut s’étendre sur une immense vallée. Ces lieux si propres à charmer les regards, l’ouvrier ne les fréquente guère, et jamais il n’y conduit sa famille. Tandis qu’il passe son temps au dehors, la mère et les jeunes enfans restent à la maison. Deux manières de vivre aussi distinctes entraînent deux catégories de dépenses dans le maigre budget du travailleur. Si la nourriture de la famille y a son chapitre, le cabaret doit y avoir le sien ; or, comme c’est le client du cabaret qui préside au partage, il consacre trop souvent une somme bien faible aux besoins domestiques, gardant pour lui quelquefois plus de la moitié de son gain. La femme s’arrange comme elle peut, c’est-à-dire que le foyer reste sans feu, et que les enfans, couverts de haillons, mendient sur la voie publique Avec de pareilles dispositions, quelle prévoyance serait possible ? L’ouvrier sans doute est plus heureux quand il gagne davantage, puisqu’il a plus de moyens de satisfaire ses goûts, mais il ne pense guère plus à se préparer des ressources pour le lendemain. Avant 1848, la moyenne des salaires dans la fabrique de Saint Quentin, en tenant compte des hommes, des femmes et des enfans, était de 20 à 22 sous par jour ; en 1848, sous le coup de la crise qui paralysa tant de métiers, les salaires tombent à 18 sous pour monter ensuite à 40 ou 45 durant les deux années si productives de 1849 et 1850. Eh bien ! à ces diverses époques, avec une rétribution si différente, on cherche également en train le produit des économies.
Cette population paraît, d’ailleurs, animée d’excellens instincts : visiblement touchée du bien qu’on lui fait, elle sait au besoin témoigner sa reconnaissance par les attentions les plus délicates. Il n’est pas besoin de beaucoup d’efforts de la part des chefs d’établissement pour gagner les sympathies de leurs ouvriers : qu’ils s’occupent un peu d’eux, cela suffit. Les inclinations des masses ne sont ni turbulentes, ni agressives, et Saint-Quentin s’endort chaque soir fort tranquillement, sans avoir chez elle un seul soldat en garnison.
Les classes ouvrières ainsi disposées, que fait on pour elles ? quelle