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mis seulement pour condition que les autres fabricans de la ville accorderaient la même augmentation ; mon exemple et mon adhésion devaient, d’ailleurs, exercer sur eux un certain poids. Que firent cependant les ouvriers ? Ayant obtenu si facilement de moi une réponse favorable, ils imaginèrent d’aller plus loin et de réclamer une diminution dans la durée du travail. Je m’élevai contre cette nouvelle prétention. Les deux exigences réunies offrirent un excellent motif à ceux des patrons qui ne voulaient ni de l’une ni de l’autre, pour les repousser toutes les deux. Il en résulta des tiraillemens, des retards ; en fin de compte, nos ouvriers, pour n’avoir su ni se borner ni se contenir, obtinrent à grand’ peine, dans un très petit nombre d’établissemens, 10 fr. ou 1 0 fr. 50 centimes par semaine, tandis que, dans la plupart, les salaires restèrent à 9 francs. » Jusqu’à ces derniers temps, les sociétés de secours mutuels étaient inconnues dans cette ville. On s’efforce assez péniblement d’en constituer une aujourd’hui. Tout en manquant d’un élan qui lui soit propre, la population est extrêmement accessible au contre-coup des événemens extérieurs. Qu’une émotion un peu profonde se fasse sentir à Paris, elle peut entraîner de braves désordres à Amiens. L’agitation socialiste n’y trouverait pas pour obstacle, autant qu’ailleurs, la réflexion qui contrôle les faits et commence à savoir calculer les chances du lendemain.

Des traits de caractère plus singuliers et plus marqués apparaissent dans les deux grandes annexes de la zone septentrionale de la France. Saint-Quentin et Sédan ; mais le mouvement s’y produit sous d’autres aspects que dans la Flandre proprement dite. À Saint-Quentin d’abord, on chercherait vainement cet esprit de corporation si vivace parmi les ouvriers lillois. C’est l’individualisme qui domine ici. Point de sociétés religieuses qui s’appliquent à réunir en un faisceau les aspirations chacun et à les pénétrer de l’idée chrétienne, point de sociétés de secours mutuels qui fassent servir une épargne collective au soulagement d’un malheur particulier ; point de ces sociétés chantantes, de ces sociétés de plaisir où les ames se livrent aux mêmes impressions et semblent se toucher par la communauté des sentimens. On est encore bien plus éloigné des associations savantes et complexes qui enveloppent, comme l’Humanité de Lille, l’ensemble des consommations domestiques. Subsistant avec leur salaire quand le travail marche, ou secourus par la charité publique durant les momens de crise, les ouvriers de Saint-Quentin n’éprouvent le besoin de rien mettre en commun dans les relations ordinaires de la vie. Le cabaret est, en dehors de l’atelier, le seul lieu qui les rassemble ; encore n’y vont-ils pas comme à un cercle où ils doivent trouver d’autres hommes et passer en compagnie, les heures de loisir : le cabaret est pour eux, avant tout, un lieu où l’on vend à boire. L’ivrognerie est le grand vice de tout ce district industriel et le