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II. – CALAIS ET AMIENS. – SAINT-QUENTIN ET SEDAN.

Dans les deux villes de Calais et d’Anciens, qui rentrent dans le cercle industriel de la Flandre, le mouvement des idées et des faits ne se présente point avec un caractère aussi animé, aussi large que dans la capitale de cette ancienne province. Les traits généraux vont en se rapetissant. La fabrique de Calais et de Saint Pierre lez Calais renferme quatre associations de secours mutuels qui se réunissent tous les quinze jours, et dans lesquelles les cotisations varient de 10 à 50 centimes par semaine. Bien que ces sociétés soient étrangères à la politique, on trouverait aisément dans chacune d’elles un noyau d’agitation socialiste. Tant que les métiers sont en mouvement, tant que l’ouvrier peut gagner sa vie, la grande masse des travailleurs échappe à une influence qui dissimule elle-même ; mais, dans un moment de crise industrielle, l’accès des ames deviendrait plus facile. Est-ce à dire que l’idée fondamentale du socialisme, l’idée d’une association exagérée et obligatoire ait pénétré dans les esprits ? Non, les ouvriers de Calais n’aspirent même pas, comme ceux de quelques autres districts, à une exploitation collective de l’industrie locale. Leurs vues ne s’étendent point aussi loin ; mais les cœurs sont tourmentés par un sentiment d’envie contre les chefs d’établissement. La source du mal est là. Peut-être aussi a-t-on trop négligé d’éclairer les intelligences, de leur rendre sensible l’intime corrélation qui existe au fond entre le travail et le capital. Il en résulte qu’une population, qui n’est pas une population égarée, qui s’est promptement rassise en 1848 ; au milieu de l’émotion générale, est plus susceptible de céder à des suggestions qui l’emporteraient bien loin de ses vrais intérêts comme de ses sentimens véritables.

La ville d’Amiens présente le contraste d’une belle cité où de larges perspectives s’ouvrent de tous côtés, où se déploient des boulevards spacieux, des promenades magnifiques, et d’une fabrique qui se replie sur elle-même, qui paraît craindre de demander à une initiative hardie les moyens d’un nouvel épanouissement. Les masses y participent moins peut-être qu’en aucune autre ville du nord de la France au mouvement intellectuel. Que les salaires soient élevés, tel est bien là, comme partout, le désir qui émeut les ouvriers, mais ce désir est peu éclairé ; il ne sait pas, quand il se manifeste au dehors, se régler et se limiter lui même. Le chef d’une des nombreuses teintureries établies sur les cours d’eau qui coupent la ville, d’Amiens me racontait dernièrement que ses ouvriers, trouvant trop faible leur salaire accoutume de 9 francs pour six jours de travail, étaient venus lui demander de le porter à 12 francs. « J’étais disposé, me disait-il, à consentir à cette demande, parce que l’ouvrage allait bien dans ce moment là ; j’y