exprimé jusque-là. Il y a donc aujourd’hui des différences reconnues entre les viandes ; C’est un service rendu par l’Humanité à toutes les classes laborieuses de la population lilloise. À ses membres munis de leur carte, l’Humanité offre un avantage plus direct : tandis que la viande de bœuf de la première catégorie se vend chez les bouchers 65 c. le demi-kilogramme, la société la donne à 50 c. Une cuisine tenue avec une propreté remarquable distribue en outre de la viande cuite et un bouillon à un prix très modéré.
Toutes ces opérations entraînent nécessairement une comptabilité développée et minutieuse. On ne saurait prendre trop de soin mettre en évidence la régularité des comptes ; la classe à laquelle s’adresse l’Humanité est d’au tant plus accessible au soupçon qu’elle est moins éclairée. J’ai vu les livres de la société, j’ai pu juger un système de ses registres à souche, de ses livrets et de ses cartes : si la société peut être frustrée, ce n’est pas faute de vérifications. Les nombreuses écritures sont parfaitement établies, et les constatations s’opèrent avec une prodigieuse facilité. Cependant l’association porte en elle des germes de dissolution contre lesquels elle a besoin de se prémunir avec l’attention la plus vigilante : elle doit savoir résister par exemple, à la tendance qui la pousse à élargir démesurément le cercle de ses opérations. Une question réglementaire, celle du crédit pour le paiement du pain, est venue, d’un autre côté, provoquer des discussions orageuses et amener plusieurs démissions. Exploitée par la rivalité jalouse du commerce de détail, cette question du crédit menace d’agir comme un dissolvant au sein de la société ; mais l’Humanité doit craindre par-dessus tout de laisser la politique pénétrer dans ses rangs. Je commence par le dire : dans les salles où se réunit la commission générale, dans la cuisine où se distribuent les viandes cuites, partout, en un mot, où plusieurs associés peuvent se rencontrer, la défense des discussions politiques est inscrite en gros caractères. Cependant, éclose au lendemain de la révolution de février, il était impossible que cette association ne se ressentît pas de l’influence qui passionnait alors les esprits ; aussi la police lilloise se défie-t-elle des pensées qui pourraient encore y éclater. Au fond, cette vigilance protége l’institution, car la discorde entrerait inévitablement chez elle avec la politique et aurait bientôt compromis son présent et son avenir. Le socialisme n’aurait pas mieux demandé que de faire son œuvre propre de cette société ; mais elle lui échappe en principe comme en fait. D’une part, elle ne prétend s’imposer à personne ; créée au profit de la grande famille ouvrière, elle laisse chacun libre d’utiliser son concours ou de s’en passer. Pour se soutenir et prospérer, elle a soin, d’autre part, que le calme règne dans le pays et l’activité dans le travail. Les quatorze cents actionnaires de l’Humanité sont rattachés plus qu’ils ne le croient eux-mêmes à la cause de l’ordre.