oreilles qu’eussent effarouchées peut-être des propositions si crûment anarchiques ; on ne perdit aucune occasion de faire sonner très haut l’épithète d’aristocrate, appliquée à tous ceux qui professaient des opinions contraires. La supériorité intellectuelle et morale devint le but des plus vives attaques. C’était en effet le seul privilège maintenu, et encore le gouvernement, loin de prétendre s’en attribuer le monopole, s’efforçait-il de le mettre à la portée de tous par le développement de l’instruction publique. La médiocrité jalouse, l’ambition des demi-savans de village n’en furent pas moins mises en jeu, tandis que, d’un autre côté, l’on caressait les préventions répandues dans la population des campagnes contre les dépenses occasionnées par le haut enseignement. Enfin, pour ébranler le peuple, on donna aux méthodistes le surnom de jésuites protestans, afin de les confondre dans l’animadversion publique avec les jésuites ultramontains, et de représenter le conseil d’état du canton de Vaud comme solidaire des fautes et des projets de celui de Lucerne. Cet artifice était grossier ; un peu de réflexion aurait suffi pour faire comprendre que les méthodistes, si zélés dans la controverse et le prosélytisme, ne pouvaient être suspects d’alliance ni même d’entente avec les catholiques ; mais ceux qui recoururent à ce triste moyen connaissaient bien la foule à laquelle ils jetaient en pâture cette formule simple et claire, propre à devenir l’écho de toutes les rancunes amassées dans les villages, de toutes les divisions, de toutes les haines suscitées par l’esprit de secte, Le peuple ne réfléchit guère ; il obéit en général à des impressions plutôt qu’à des raisonnemens : la propagande des cabarets ne pouvait manquer de l’emporter sur celle des sociétés de tempérance, et c’est en effet ce qui arriva.
Afin de mieux organiser le mouvement qu’on préparait en vue d’un renouvellement partiel du conseil d’état qui devait avoir lieu le printemps suivant, les chefs radicaux se réunirent le 29 décembre 1844 au casino de Lausanne, et fondèrent la société patriotique, dont le but principal était d’agiter le pays, qu’elle ne tarda pas à couvrir d’un réseau de clubs auxiliaires établis dans toutes les petites villes vaudoises. Berne, qui se trouvait alors à la tête de la Suisse radicale, ayant envoyé un député, M. de Tavel, pour tâcher d’obtenir que le canton de Vaud donnât son adhésion aux mesures de rigueur contre Lucerne, le conseil d’état répondit qu’il n’estimait pas que les moyens de conciliation fussent encore épuisés ; mais le comité qui siégeait au casino profita de cet incident pour provoquer une pétition demandant l’expulsion des jésuites, conformément au vœu exprimé par les assemblées populaires de la Suisse allemande. Cette pétition, colportée activement de commune en commune, de pinte en pinte, expliquée, commentée, souvent même imposée par les agens de la société patriotique, recrutés en partie dans les rangs des fonctionnaires de l’état, obtint un rapide succès ; trente-deux mille signatures furent recueillies en quelques jours. Un tel résultat devait redoubler la confiance des chefs radicaux, qui jugèrent que le moment était venu d’essayer une grande assemblée populaire. Le dimanche 2 février, cette assemblée eut lieu à Villeneuve, à l’extrémité du lac Léman, près de l’entrée de la vallée du Rhône. Trois mille hommes environ se trouvèrent au rendez-vous, et, devant cette foule tumultueuse, l’éloquence révolutionnaire prit son libre essor. Des assemblées du même genre furent successivement convoquées sur divers points du canton, et partout l’avantage resta aux orateurs radicaux ; des menaces et des cris de mort étaient proférer contre quiconque tentait de prendre la perde pour soutenir l’opinion opposée.