Je contemplais donc le Mont-Blanc avec une satisfaction voisine de l’extase. Nous étions alors au-dessus d’une petite ville que la carte nous dit être Thin-le-Moutier ; il était 5, heures 37 minutes, il faisait très chaud. Ces inquiétantes détonations continuaient ; je sentais battre mon cœur ; ma respiration, déjà si gênée par la raréfaction de l’atmosphère, était devenue plus saccadée encore. Tout à coup l’aérostat commença à verser dans la nacelle des torrens d’une une vapeur grise qui nous incommodèrent beaucoup. M. Godard saisit la corde de la soupape ; je n’osais l’interroger, redoutant sa réponse autant que son silence. Il déploya un sang-froid et une présence d’esprit admirables dans ce danger qui me paraissait si imminent et qui était aussi nouveau pour lui, que pour moi. Assis dans un coin de la nacelle, je suivais des yeux tous les mouvemens de l’aéronaute, je scrutais dans un morne silence son regard fixé sur la soupape ; n’y lisant rien de rassurant, je compris que nous avions affaire à un ennemi inconnu qui se révélait à nous par cette émission de gaz qui risquait de nous asphyxier. Mon guide, malgré son expérience et son intrépidité, hésitait encore sur la nature du péril comme sur le moyen de le combattre ; je me considérai dès-lors comme perdu. Dans cet instant suprême, mon cœur me transporta au milieu de ma famille, auprès de mes enfans ; mais, grace à cette force surnaturelle qui s’empare de l’homme dans les périls, les plus extrêmes pour reporter ses espérances aux pieds de son Créateur, mes adieux si poignans à tous les miens furent adoucis par l’ardeur d’une prière instinctive ; j’élevai mon ame à Dieu. Dans ce religieux appel à la toute-puissance de la bonté infinie, mes craintes diminuèrent au moment où ma position allait devenir une véritable torture. Préciser le temps que durèrent mes angoisses, ce serait vouloir apprécier les millièmes de seconde ; ce n’est point au chronomètre que s’évalue la durée de situations pareilles à la nôtre ; les secondes sont des heures, quand une seconde décide de la vie, ou de la mort. Je souffrais donc depuis des heures entières lorsque M. Godard, dominant enfin ses hésitations, tira vivement la corde de la soupape aussitôt le gaz cessa de nous envelopper, nous étions sauvés !
Autrefois, il y a dix ans, lorsque je quittai le régiment de cuirassiers de S. À I. le grand-duc héritier pour suivre une expédition dans le Caucase, j’avais vu souvent la mort de bien près ; comme tous mes compagnons d’armes ; jamais je n’avais ressenti des transes de la nature de celles que je viens d’indiquer. J’étais jeune, alors, il est vrai, et c’était pour mon souverain, pour ma patrie que j’accomplissais le premier, le plus sacré des devoirs, en risquant une existence qui leur appartient tout entière, tandis qu’ici j’avais cédé à une vaine curiosité, à l’inexplicable attrait de l’inconnu, et cette témérité fatale me conduisait peut-être à une fin cruelle, sans gloire et sans utilité.