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style de ces portraits est loin d’être aussi clair, aussi pur, aussi sobre que le style de la première série. La phrase trop touffue aurait besoin d’être émondée. Les pensées les plus justes, les aperçus les plus fins, demeurent parfois enfouis sous un luxe d’images prodiguées au hasard. Cette seconde série, malgré sa richesse, ne convient pas à tous les esprits.

Depuis deux ans, M. Sainte-Beuve a pris dans la prose une troisième manière, plus vive, plus alerte que celle de ses derniers portraits ; il a renoncé aux pensées patiemment et subtilement déduites pour chercher avant tout la clarté ; il n’y a pas une page de ses Causeries qui puisse embarrasser le lecteur, l’hésitation n’est pas permise, car le langage de l’auteur est d’une précision constante. Nous retrouvons dans les Causeries un style qui rappelle celui des premiers portraits, sans pourtant l’égaler ; c’est la même netteté, ce n’est pas toujours la même harmonie. Malheureusement M. Sainte-Beuve, en nous parlant du XVIIIe siècle, se complaît trop souvent dans les détails vulgaires. Emporté par son amour pour la réalité, il nous montre sous un vilain aspect les personnages qu’il expose à nos yeux. Je me contenterai de citer Voltaire et Mme Du Châtelet. On dirait qu’il prend plaisir à concentrer notre attention sur l’égoïsme et la vanité. Il y a dans ces pages spirituelles une amertume que j’ai peine à m’expliquer. On dirait que l’auteur, en disant adieu aux illusions de sa jeunesse, éprouve le besoin de railler tous ceux qui ne partagent pas son désenchantement. Il ne se contente pas de nous raconter la vie familière des hommes les plus illustres, il s’attache à promener nos regards sur toutes leurs misères. Il semble triompher en appelant le dédain sur les héros dont il a surpris les secrets. Il traite les rois de la pensée comme Suétone a traité les Césars.

Il y a pourtant dans cette troisième galerie des portraits dessinés d’une main sûre et savante : celui de Mme de Pompadour est charmant d’un bout à l’autre. La morosité dont je parlais tout à l’heure ne s’y laisse pas apercevoir. Quant aux contemporains, dont M. Sainte-Beuve avait déjà plusieurs fois entretenu le public depuis vingt ans, il paraît maintenant les juger avec une sorte de rancune. Je ne crois pas qu’il soit animé contre eux d’aucun sentiment de haine, de colère ou de jalousie. C’est plutôt à lui-même que sa rancune s’adresse. Il tient à démentir les éloges qu’il leur a prodigués ; il s’acharne à cette tâche nouvelle, non par injustice, mais plutôt par amour exagéré de la justice : il veut expier son excès d’indulgence par un excès de sévérité. Lamartine, Béranger, Chateaubriand qu’il a déifiés, sont autant de remords dont il veut se débarrasser à tout prix. Passe encore pour Lamartine, dont les dernières