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au seizième siècle, c’est de n’être pas tracé d’une manière assez désintéressée. Il est bon sans doute de rattacher le passé au présent, car si le passé ne devait pas offrir une leçon, il serait inutile de l’étudier, mais il ne faut pas chercher le présent dans le passé, et M. Sainte-Beuve n’a pas toujours su résister à cette tentation. Dans son désir de justifier les théories de la nouvelle école poétique, il lui est arrivé plus d’une fois de juger avec trop de complaisance, d’interpréter avec trop de souplesse les précédens qu’il voulait invoquer. Cependant l’école poétique de la restauration doit voir en lui le plus savant de ses défenseurs. Si l’habileté est souvent poussée trop loin, l’érudition la plus solide ne fait jamais défaut.

Pour achever ma tâche, il me reste à parler des Portraits et des Causeries de M. Sainte-Beuve. Ses Portraits seront, selon toute apparence, son titre le plus durable dans l’histoire littéraire de notre pays. Malgré tout le vrai mérite qui recommande ses Consolations, malgré les pages émouvantes qui se rencontrent dans son roman ; c’est par ses Portraits surtout qu’il a sollicité, qu’il a obtenu l’attention publique. Cependant il y a dans ces Portraits mêmes deux parts à faire, deux parts bien distinctes. Ceux qu’il a tracés pendant les deux dernières années de la restauration ne sont pas de purs portraits. Aux détails biographiques, aux jugemens littéraires fondés sur les œuvres mêmes, se mêlent des idées d’un caractère purement polémique. L’histoire, pendant ces deux années, n’est pas pour M. Sainte-Beuve la contemplation impartiale du passé ; c’est plutôt une arme qu’un enseignement. Cependant, malgré cette préoccupation évidente, comme il cherche la vérité avec ardeur, il trouve des idées excellentes et les traduit dans une langue très précise. C’est pour la prose la période la plus limpide de son talent. Sil ne juge pas Jean Racine et Jean-Baptiste Rousseau, La Fontaine et Mme de Sévigné avec assez de liberté, s’il ne sait pas se dégager du présent en étudiant le passé, il saisit très bien les traits principaux des modèles qu’il veut peindre. Avant d’aborder la polémique avant de juger Athalie au nom d’Hernani, il la juge au nom du Livre des Rois, comme il juge Britannicus au nom de Tacite. Toutes ces études sont pleines de finesse et ne laissent rien à désirer sous le rapport de l’érudition. Bien que les doctrines du cénacle se fassent jour en maint endroit, il y aurait de l’injustice à ne pas considérer ces Portraits comme des modèles de saine critique. Le zèle de M. Sainte-Beuve pour les intérêts de la nouvelle école n’enlève rien à la sagacité de son esprit. Il n’accepte pas comme sans réplique l’autorité du maître qu’il a choisi. Tout en demeurant plein de respect pour les Orientales, pour Marion Delorme, il éprouve le besoin d’opposer aux œuvres de Racine et de Jean-Baptiste Rousseau une autorité plus imposante, et il s’adresse