Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/871

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des actions humaines ne détermine pas la prédilection divine, il cite l’exemple des nouveau-nés, qui ne sont pas tous sauvés, et qui cependant n’ont par eux-mêmes ni mérité ni démérité. Le digne évêque se contente d’affirmer ce qu’il devrait au moins essayer de démontrer. Ses affirmations sur la transmission du péché originel, sur l’origine de la concupiscence et sur la prédestination des saints, n’ont pas, philosophiquement parlant, une plus grande valeur. Il dogmatise et ne démontre pas, et je dois avouer que la logique la plus habile ne suffirait pas à établir sur de solides fondemens les principes qu’il nous donne comme antérieurs et supérieurs à tous les droits, à toutes les prétentions de la raison humaine. Si la vie la plus sainte sans le secours de la prédestination n’obtient pas la grace divine, la grace n’est plus qu’un caprice. L’indifférence des dieux d’Épicure est remplacée par une bienveillance arbitraire qui ne vaut guère mieux.

Je n’insisterai pas davantage ; certes, les développemens que je pourrais donner à ma pensée n’ajouteraient rien à l’évidence de cette conclusion. J’arrive à la seconde face du sujet, à la face philosophique. En exposant les doctrines de saint Augustin, je n’ai pu me dispenser il invoquer l’autorité de la philosophie. Cependant, bien que la raison m’autorise à répudier la foi fondée sur l’impuissance et le néant de toute science, il convient de caractériser rapidement l’état de la philosophie française à l’époque où parut le livre de Jansenius. L’évêque d’Ypres est le contemporain de René Descartes, et cette coïncidence marque nettement la seconde partie de la tâche que devait se proposer l’historien de Port-Royal. La Méthode et les Méditations de René Descartes ressuscitaient les droits de la raison enfouis sous les ténébreuses discussions de la scolastique. La méthode aristotélique mal comprise et défigurée était condamnée sans retour. Descartes débutait par le doute absolu, et fondait enfin une philosophie nouvelle sur cet enthymème victorieux : je pense, donc je suis. Il faut voir dans ses Méditations comment il arrive à cette conclusion. En souvenir de ses études géométriques, il compare le point d’appui qu’il demande à la psychologie, pour établir la certitude des connaissances humaines, au point d’appui que demandait Archimède pour soulever la terre. Descartes, en répudiant la méthode aristotélique, ne songeait pas à ruiner la foi catholique. Une telle pensée n’est jamais entrée dans son esprit. Aucune action de sa vie ne donne le droit de mettre en doute sa sincérité, et s’il n’eût pas été fermement décidé à poursuivre la recherche de la vérité d’une manière désintéressée, la vérité pour elle-même, il n’aurait pas dédié ses Méditations aux docteurs et au doyen de la faculté de théologie. S’il eût entrepris sa tâche avec une arrière-pensée de destruction, une telle dédicace eût été de sa part une indigne jonglerie. Mais il pouvait et devait dire ce qu’il dit en terminant : « A quoi bon insister plus long-temps sur l’importance