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à son oreille une musique si douce, épuisant sur cette chère relique tous les trésors de la ferveur et de l’humilité, ne trouvera pas un cœur indifférent. Il est impossible de lire sans attendrissement cet admirable épisode. De telles pages ne s’oublient jamais. C’est, à mon avis, la plus belle partie du livre, et M. Sainte-Beuve, n’eût-il écrit que ces pages passerait à bon droit pour un artiste consommé. Il y a dans cette lutte de la passion contre la foi une douleur poignante qui achève la régénération d’Amaury. Sans cette cruelle épreuve, le renouvellement de l’homme ne serait pas complet. La prière d’Amaury sur le corps de Mme de Couaën est un morceau de maître. L’auteur, dans le récit de cette scène, a su concilier l’abondance et la simplicité. Les paroles pressent sur les lèvres de l’amant désespéré, et cependant son émotion, dominée par une foi ardente, ne lui inspire pas une pensée amère ; il offre sa douleur en expiation de ses désirs irrésolus, en expiation des blessures dont il a sillonné le cœur de ses victimes. Les derniers cris de la chair se perdent, se confondent, s’éteignent dans le cantique du chrétien.

Le mérite éminent de ce livre, c’est d’offrir au lecteur une nourriture substantielle. On pourrait souhaiter dans le récit plus d’art et d’habileté, on ne pourrait souhaiter un enchaînement plus rigoureux dans les pensées. Quant au style, bien qu’il se recommande par des qualités éclatantes, il n’a pas toujours la simplicité qui convient à la narration. L’auteur confond trop souvent la forme lyrique et la forme dramatique. Les personnages, lors même qu’ils sont animés de sentimens très vrais, ne s’expriment pas constamment dans la langue que ces sentimens devraient leur inspirer. L’ode et l’élégie remplacent parfois le dialogue. Cette méprise, très excusable dans la bouche de l’auteur, lorsqu’il parle en son nom, ne peut guère se justifier dans la bouche des personnages, car, dès qu’ils parlent, il faut que l’auteur s’efface et disparaisse derrière eux. Le ton lyrique, d’ailleurs, très habilement soutenu, donne à la trame du style une certaine monotonie qui rend la lecture de ce roman quelque peu laborieuse. C’est un fait que je constate sans vouloir en faire le sujet d’un reproche sérieux. Il est trop clair en effet que ce livre n’est pas destiné à l’amusement des oisifs. Chacun sait, dès les premières pages, à quoi s’en tenir. C’est une œuvre née de la méditation, et que la méditation peut seule apprécier. Si j’insiste avec tant de soin sur la contexture du style, c’est qu’il y a entre le développement de la pensée et la forme qu’elle revêt une étroite relation et je crois que M. Sainte-Beuve, quoique habitué dès long-temps a réfléchir, ne saisit pas toujours le moment précis où sa pensée est arrivée à maturité. De là une certaine confusion dans l’expression. Il emprunte tour à tour au monde de la conscience et au monde extérieur des images qui se croisent et se contrarient. Il connaît