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de M. Sainte-Beuve, les Pensées d’Août, comparées aux Consolations, ne portent pas le même caractère : ce n’est pas que la pensée proprement dite, la pensée prise en elle-même, soit dépourvue de grandeur ; mais dans ce dernier recueil les idées les plus ingénieuses, les sentimens les plus généreux, sont enveloppés d’une brume que l’attention la plus persévérante ne réussit pas toujours à écarter. Je ne demande pas à la poésie élégiaque ou lyrique la clarté, la précision, l’évidence d’un livre de géométrie ; il y a cependant, même en poésie, une clarté relative que les maîtres de l’art ont toujours considérée comme une loi impérieuse : or M. Sainte-Beuve, je le crains bien, en écrivant les Pensées d’Août, n’a pas tenu compte de cette clarté relative. Qu’est-il arrivé ? Le sort réservé à ce livre n’était pas difficile à prévoir ; à peine quelques esprits courageux ont-ils poursuivi la lecture jusqu’au bout. Le souvenir des Consolations les soutenait dans cette tâche épineuse, et, la tâche accomplie, ils ne sont pas demeurés sans récompense ; car, la brume une fois soulevée, nous trouvons dans ce recueil une ample moisson d’idées qui, pour être appréciées, n’auraient besoin que de se produire dans une langue plus transparente et plus vive. Sous le voile qui les couvre, elles sont pour la foule comme non avenues. Et quand je dis la foule, je n’entends pas parler de la foule bruyante, inattentive, à qui la poésie lyrique ne s’adresse jamais ; je parle de cette foule intelligente et lettrée, mais quelque peu paresseuse, qui veut comprendre sans effort et ne relit pas volontiers ce qui est demeuré obscur à la première lecture. Or c’est avec elle qu’il faut compter, et M. Sainte-Beuve ne s’en est pas souvenu : il s’est contenter d’indiquer sa pensée, sans se donner la peine de l’exprimer. Encore, si l’indication était toujours précise, le lecteur pourrait, à la rigueur, y trouver un sujet de réflexion ; mais trop souvent l’indication est tellement vague, tellement confuse, que l’esprit ne sait où se prendre, et s’arrête découragé : on dirait que l’auteur craint de profaner les sentimens qui l’animent et nous les révélant sans détour, sans ambiguïté. Un tel procédé, on le comprend, devait rebuter la plupart des lecteurs, et c’est en effet ce qui est arrivé. Je le regrette sincèrement, car il y a dans les Pensées d’Août autant de thèmes vraiment poétiques, vraiment émouvans que dans Joseph Delorme et les Consolations ; mais aucun de ces thèmes n’est développé de façon à prendre possession de notre intelligence. Pour justifier ce que j’avance, pour ne laisser aucun doute sur la justesse des principes exposés tout à l’heure, je choisis la pièce la plus importante du recueil, celle qui a soulevé le plus d’objections, je pourrais dire qui a excité le plus de colère, car l’impatience a souvent pris la forme de la colère. Je choisis Monsieur Jean. Certes, parmi ceux qui ont eu le courage de lire depuis le premier jusqu’au dernier vers cette mélancolique histoire, il n’y a personne qui ne se félicite d’avoir persévéré.