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En effet, l’année suivante, l’armée fédérale fut mise sur pied, et, après une courte résistance, les états du Sonderbund succombèrent écrasés par le nombre. Leur chute entraîna bientôt la révolution de Neuchâtel. Le parti radical, maître du terrain, allait être à même de développer ses vues d’organisation avec d’autant plus de sécurité, que les événemens de 1848 vinrent dissiper toute crainte d’intervention étrangère. C’est à partir de ce moment qu’il faut étudier le radicalisme en Suisse ; c’est à dater de cette époque qu’à Genève, à Lausanne, à Fribourg, on le voit maître d’appliquer ses théories et de donner sa mesure comme système de gouvernement. C’est sur ce terrain que nous voulons le suivre plutôt que sur le terrain fédéral, où son action a été quelque peu gênée par l’antagonisme des races et des intérêts. Ce qui frappe d’abord, quand on examine les résultats de cette prétendue régénération de la démocratie, c’est sa complète stérilité. On y cherche vainement une réforme utile, un progrès réel, ou l’avènement sur la scène politique d’hommes supérieurs méconnus ou repoussés par le régime précédent. Au contraire, s’il y a quelques pas accomplis, ce sont des pas rétrogrades, et la décadence est le cachet que le radicalisme imprime à. tout ce qu’il touche. Les institutions démocratiques elles-mêmes semblent dépérir sous son influence. La souveraineté du peuple, le suffrage universel, la liberté de la pensée, la liberté de la presse et de l’association, tout cela n’est plus qu’un mensonge. Un machiavélisme éhonté devient l’allure habituelle du gouvernement et se glisse jusque dans les moindres détails de l’administration. La vénalité prend la place du dévouement ; on fait du patriotisme comme un métier, pour gagner sa vie. Vaud et Genève surtout nous offrent un saisissant exemple de cette métamorphose, qui s’y est opérée plus brusquement et plus complètement qu’ailleurs.


I. – LE CANTON DE VAUD ET SA REVOLUTION RADICALE.

Issu en quelque sorte de la révolution française, qui l’avait délivré du joug bernois et constitué en état indépendant, le canton de Vaud n’avait accepté qu’à regret le pacte de 1815 et la constitution dont il avait été doté à la même époque. La part prise à ces deux actes par la sainte-alliance, quoique fort indirecte, suffisait pour les rendre impopulaires. D’ailleurs, la constitution de Vaud n’était pas démocratique ; elle restreignait le droit électoral, en soumettant à un cens assez élevé l’éligibilité comme l’électorat. Elle établissait une aristocratie de riches paysans, qui avait contre elle la classe éclairée des villes, plus ou moins imbue des doctrines du libéralisme français. On se plaignait de l’état d’inertie dans lequel cette constitution plaçait toutes les forces vives du pays ; on réclamait l’extension des droits électoraux, une représentation plus directe et plus fréquemment renouvelée. En 1830, l’exemple de Paris ayant montré combien il était facile de se défaire d’un gouvernement dont on ne voulait plus, une manifestation populaire se fit à Lausanne, et le conseil d’état vaudois fut contraint de céder la place à une assemblée constituante. Dans cette émeute, on n’employa pas d’autres armes que le bâton ; mais ce n’en était pas moins un premier pas vers la reconnaissance du droit absolu de la souveraineté populaire. La sage modération des chefs empêcha seule le radicalisn1fc’ de porter immédiatement ses fruits.