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tous les vagabonds de l’empire, conspirait encore la ruine de la dynastie régnante. On accusait ces hommes doux et inoffensifs des pratiques les plus révoltantes, de bâtir des maisons pour y séduire les femmes, d’arracher les yeux aux malades, de recevoir des mains du prêtre un pain confectionné avec des ingrédiens mystérieux. La prière en commun, les onctions faites sur les yeux des mourans, le sacrement de l’eucharistie, avaient donné naissance à ces fables ridicules qui puisaient un certain crédit dans l’extrême ignorance des masses et dans l’aveugle aversion du peuple pour les étrangers.

Ce fut au milieu de ces épreuves si cruelles pour les missions catholiques que la guerre vint à éclater entre l’Angleterre et la Chine. La France ne vit d’abord dans l’ouverture des hostilités qu’une raison d’exercer une surveillance plus active sur les projets d’agrandissement d’une puissance rivale. Quand elle s’aperçut que l’intégrité de l’empire chinois n’était pas menacée, quand elle dut renoncer à lutter contre la prépondérance commerciale de l’Angleterre et des États-Unis, elle crut un instant que son rôle était terminé. Ce rôle venait au contraire de s’ouvrir. La pente naturelle de notre politique, quel que soit le gouvernement qui la dirige, a toujours été de prendre parti pour les opprimés. Il y avait en Chine des victimes et des bourreaux ; il y avait là aussi des compatriotes qui faisaient honorer le nom de notre pays, des prêtres qui avaient mérité l’admiration du monde chrétien. Notre conduite pouvait être prévue d’avance : au moment où le drapeau tricolore semblait devoir se retirer de ces mers, rebuté par la stérilité de nos relations commerciales, une politique plus prévoyante l’y retenait en l’appelant à couvrir la cause de la civilisation et de la liberté religieuse.

Ce fut à la corvette française la Danaïde, commandée par M. Joseph de Rosamel, qu’appartint l’honneur de montrer notre pavillon sur les côtes de la Chine à l’époque même où l’escadre anglaise venait chercher à Canton le traité qu’elle croyait avoir conquis dans le golfe de Pe-tche-ly. M. de Rosamel était appelé à se mouvoir au milieu de circonstances d’autant plus difficiles qu’elles étaient imprévues, et soulevaient à chaque pas les questions les plus délicates de droit international. La loyale fermeté de cet officier fut appréciée par le plénipotentiaire anglais, et M. de Rosamel put assister à l’entrevue qui eut lieu dans la rivière de Canton, au mois de mai 1841, entre le commissaire impérial et le capitaine Elliott. À la vue de ce jeune capitaine, que les Anglais entouraient de tant d’égards, Ki-shan parut comprendre le rôle qui, dans ces conjonctures, pouvait être dévolu à la France ; mais déjà le parti violent l’avait emporté à Pe-king : Ki-shan avait été rappelé et dégradé ; le capitaine Elliott lui-même était désapprouvé ; toute médiation était devenue impossible. Une nouvelle campagne ne tarda pas à