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le 20 juillet, on atteignit le but de tant d’efforts : l’escadre, au nombre de soixante quinze voiles, se trouva réunie près de l’Ile-d’Or, devant la célèbre ville de Chin-kiang-fou.

Les Chinois n’avaient pas rassemblé sur ce point important toutes les forces dont ils auraient pu disposer. Avant d’apprendre l’entrée des Anglais dans le Yang-tse-kiang, c’était surtout à Tien-tsin et à Pe-king que le gouvernement avait multiplié les moyens de défense : il avait cependant à Chin-kiang-fou une armée chinoise campée sur les hauteurs et une garnison tartare enfermée dans la ville. Les Chinois ne tinrent pas un instant contre la division anglaise qui fut chargée d’enlever les positions qu’ils occupaient. Cette colonne n’essuya qu’une décharge impuissante ; mais l’ardeur du soleil foudroya plusieurs hommes dans les rangs. À l’attaque de la ville, on éprouva une résistance plus sérieuse : les Tartares disputèrent le terrain aux Anglais avec un admirable courage. Chassés des remparts, ils se précipitèrent dans leurs maisons pour y égorger leurs femmes et leurs enfans, et marchèrent de nouveau à l’ennemi. Les régimens anglais, se croyant maîtres de la ville, s’avançaient sans défiance entre les remparts et quelques jardins coupés de haies vives. Les Tartares débouchèrent subitement sur le flanc de cette colonne, leur première décharge tua ou blessa plusieurs hommes ; mais les Anglais reprirent bientôt l’offensive et ne firent aucun quartier aux ennemis qu’ils purent atteindre : la prise de Chin-kiang-fou leur avait coûté cent quatre-vingt-cinq hommes, tués ou blessés.

Le soleil du 22 juillet 1842 éclaira en se levant une scène de désolation. Dans les maisons en ruines, dans les rues de Chin-kiang-fou, on ne rencontrait que des cadavres. Les Tartares qui n’avaient pas péri les armes à la main s’étaient suicidés ; leur général s’était brûlé dans sa maison. Les soldats anglais, les régimens de cipayes surtout, avaient commis les plus affreux excès et prouvé que la féroce énergie des Tartares n’avait été que prévoyante. En immolant leurs familles, ces malheureux leur avaient épargné du moins la flétrissure et les déshonneur. Le sac de Chin-kiang-fou est le plus terrible épisode de cette guerre ; il a imprimé une tache au nom anglais. Aucune description ne saurait donner une idée de ce qu’était cette ville après quelques jours d’occupation. Les rues étaient désertes, l’air empoisonné par des cadavres dont des bandes de chiens maigres et affamés se disputaient les lambeaux. Les officiers faisaient d’impuissans efforts pour arrêter le pillage et la dévastation. Pas une maison n’avait été épargnée. Les portes étaient enfoncées, les fenêtres brisées ; les murs éventrés ; les toits même avaient disparu. Dans l’intérieur de ces demeures désolées, une masse confuse de vêtemens, d’armes, de meubles souillés, foulés aux pieds, jonchait le sol ; c’était la plus complète image de la guerre