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barrière ne marqua les frontières de deux états, jamais limite plus précise ne satisfît aux nécessités de la politique ; ce cours d’eau gigantesque partage le Céleste Empire en deux régions distinctes, la région du nord et celle du midi. Les deux branches du canal impérial viennent déboucher dans le Yang-tsé-kiang à 40 milles au-dessous de Nan-king, à 160 milles de l’embouchure ; c’est par ces canaux que les provinces du nord reçoivent le riz, le thé et les soieries des provinces du midi. Pe-king ne peut plus vivre, si l’on intercepte cette communication ; c’est empêcher l’air d’arriver à ses poumons, c’est frapper la dynastie mantchoue d’asphyxie. Le capitaine Bethune, sur la frégate le Conway, avait reconnu le cours du Yang-tse-kiang ; il affirmait qu’on pouvait conduire des vaisseaux de ligne jusqu’à l’embranchement des canaux et du fleuve. Cette assurance valait mieux qu’une victoire, puisque les Anglais ne voulaient pas dépouiller, l’empereur, mais réduire son orgueil à demander grace, puisqu’ils couraient non après une conquête, mais après un traité, il fallait renoncer à ces occupations multipliées qui n’étouffaient la résistance sur un point que pour la laisser renaître sur un autre ; il fallait chercher un chemin plus directe pour aller jusqu’au cœur qui battait à Pe-king Remonter le Yang-tse-kiang, placer la flotte anglaise au point vital de l’empire, arrêter la circulation de ce grand corps, semblait la voie la plus prompte et la plus sûre d’atteindre le but proposé ; une marche sur Pe-king aurait eu des conséquences moins certaines. L’empereur pouvait dans ce cas, évacuer la capitale, se retirer en dehors de la grande muraille ou dans la province occidentale du Chan-si ; de là, protégé par les difficultés de cette contrée montagneuse, il eût encore commandé aux provinces méridionales ; la guerre se fût éternisée, et peut-être une anarchie générale eût-elle éteint ou du moins compromis ce commerce pour lequel, depuis trois ans, on avait les armes à la main. Toutes ces considérations, mûrement méditées, entraînèrent la détermination des généraux anglais, et le fleuve qui baigne les murs de Nan-king fut choisi pour le théâtre d’une expédition qu’on se flattait de rendre décisive.

L’entreprise était périlleuse : ce fleuve majestueux, qui prend sa source dans les montagnes du Thibet et traverse la Chine dans toute sa largeur, n’a point les paisibles allures de nos rivières européennes. Dans les passages où son lit se resserre, le courant atteint des vitesses de six ou sept milles à l’heure ; mais les difficultés les plus réelles se présentent à l’embouchure même. Le Yang-tsè-kiang s’épanche à la mer entre des côtes à demi noyées. Quand les derniers îlots de L’archipel de Chou-san se sont abaissés sous l’horizon, on se trouve au milieu d’une mer boueuse et jaune, dont les bords n’apparaissent