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contrée énervante disparut immédiatement pour faire place au sentiment du devoir ; il lui tardait d’être à bord. Son premier soin, en arrivant au Callao, fut d’averti par lettre le commandant qu’il reprendrait son service dès le lendemain, en s’excusant de ce que son costume de cavalier ne lui permettait pas de paraître en sa présence. Il retourna à Lima plus vite qu’il n’était venu ; don Gregorio, qui l’accompagnait toujours, demeura près de lui le reste de la journée, afin de l’aider à faire ses dispositions pour le départ ; peut être aussi le padre se tenait-il à côté de son jeune ami pour empêcher Rosita de tenter l’aventure d’une dernière rencontre. Le soir même, deux mules emportèrent les bagages de don Patricio.

Cent matelots anglais se rues de Lima devaient y causer une certaine sensation. Aux noms de Jacl, Tom, Bill, Dick, Sam, que prononçaient les marins en s’appelant d’une rue à l’autre, les habitans se mettaient aux portes, et l’on sut bientôt jusque dans les quartiers les plus reculés que la frégate était revenue au mouillage. Cette nouvelle arriva aux oreilles de Rosita et la mit en émoi. À plusieurs reprises, elle passa sous le balcon de don Patricio ; mais elle entendait la grosse voix du padre et disparaissait au plus vite. En proie à une secrète inquiétude, elle allait et venait d’un pas rapide, puis cherchait à se rassurer en songeant à la promesse que lui avait faite don Patricio. Il viendra, se disait-elle ; il ne partira pas sans m’avertir. Et elle se résigna à l’attendre devant la porte de sa mère. Les heures se passèrent… don Patricio ne vint pas ! Fatigué des occupations multipliées qui l’avaient tenu sur pied depuis le matin, il se coucha dès que don Gregorio se fut retiré, rêvant à la mer, à sa frégate et à cette vie de marin qu’il allait reprendre ; il ne tenait plus à la terre. Ce séjour de six semaines à Lima s’effaçait de son esprit comme un rêve devant la réalité. À peine le jour commençait-il à poindre, qu’il avertit le vieux portier de lui amener son cheval. Le nègre, qui avait reçu maintes fois d’excellens pour boire, ne put retenir ses larmes en voyant partir celui qu’il appelait son jeune patron. Le chapeau à la main, le visage contracté par la tristesse, il se mit à débiter le plus grotesque compliment sur un ton de voix si larmoyant, que don Patricio eut peine à ne pas éclater de rire.

— Merci, merci, mon vieux, répondit le jeune cavalier ; rentre dans la loge et racle ta guitare. Voilà de quoi te consoler.

Il lui mit dans la main une pièce d’or, sauta lestement en selle et sortit de la cour. Son cheval s’élança comme un trait ; on eût dit qu’il comprenait la pensée de son maître et avait hâte de le déposer sur le rivage. De son côté, la Rosita, qu’une vague appréhension avait tenue éveillée toute la nuit, s’était mise en campagne. Elle débouchait dans la rue que suivait don Patricio pour gagner le port du Callao, au