vous. Vous me reconduirez, don Patricio, n’est ce pas ? Si vous saviez comme j’ai peur !
— Eh bien ! si vous avez si grand peur, comment se fait il que vous vous exposiez seule dans ces montagnes ?
— Écoutez, dit Rosita d’un air sérieux en se rapprochant du lieutenant Patrick, qui se préparait à regagner la ville, j’étais allée ce matin voir ma marraine, qui demeure là, tenez, à cette petite maison devant laquelle vous êtes passé pour venir ici. Ma marraine est une duègne bien méchante, qui me gronde toujours, et, si ce n’était pour obéir à ma mère, je ne la verrais jamais. Comme je sortais de chez elle pour retourner en ville, j’ai rencontré des cavaliers qui se sauvaient en disant que les bandits erraient aux environs ; la peur m’a prise…
— Et au lieu de rentrer chez votre marraine, interrompit don Patricio vous avez jugé plus prudent de gravir la cime de ces rochers ?
— Oui, pour vous avertir du péril et me mettre sous votre protection, répliqua la jeune fille.
— Qui vous avait dit que j’étais ici ?
— Qui me l’avait dit !… Et qui m’a dit aussi qu’hier soir vous vous êtes promené sur la route du Callao jusqu’à dix heures ? qui m’a dit qu’avant hier vous êtes allé en visite chez la marquise de… ? Tenez, don Patricio, quand une Limeña a jeté les yeux sur un caballero, qu’il soit fils du pays ou étranger, elle est bien vite instruite de toutes ses démarches, de toutes ses actions les plus indifférentes.
Tout en parlant ainsi, elle prit le bras de don Patricio, sous prétexte qu’elle se sentait lasse de la marche et des émotions de la matinée. Le jeune Irlandais marchait lentement et sans rien dire ; son regard errait au hasard sur les grands horizons qui se découvraient par échappées entre les rocs et les arbres de la route. Sa main distraite cueillait les fleurs et arrachait les feuilles des buissons ; son visage doux et sérieux ne trahissait ni joie ni tristesse, mais il s’y reflétait cette mélancolie rêveuse qui s’empare d’un jeune cœur assez sensible pour être impressionné et trop attentif pour se laisser surprendre. Cette romanesque promenade sous le plus beau ciel du monde, seul à seul avec une jeune fille qui l’aimait, lui plaisait cependant, mais comme un épisode de sa vie qu’il se raconterait à lui-même pendant ses longues heures de quart, la nuit, sur son vaisseau. Rosita, au contraire, s’épanouissait naïvement à ce premier rayon de bonheur. Cette rencontre réalisait son vœu le plus ardent, sa plus secrète espérance. Suspendue au bras de don Patricio elle redressait fièrement sa petite taille et marchait avec une dignité de reine ; à chaque pas, elle levait sur lui ses yeux noirs, comme pour lui arracher un sourire ou quelque parole affectueuse. Que n’eût elle pas donné pour savoir à quoi il rêvait