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longue semblables aux hirondelles et aux martinets qui nichent autour d’eux ; rarement ils se posent sur la terre. De son côté, la mère de Rosita tenait une toute petite boutique de fils et d’aiguilles ; mais le commerce qu’elle faisait n’était point si important que la présence de sa fille lui fût souvent nécessaire ; celle-ci jouissait donc d’une entière liberté. Les prétextes ne lui manquaient pas pour sortir, et la porte de la boutique, toujours ouverte, la sollicitait incessamment à de nouvelles promenades. Si par hasard une occupation imprévue la retenait au logis, quelque voisine charitable entrait, qui disait à la mère : — Doña Mercedes, j’ai une longue course à faire, vous me permettez d’emmener Rosita, n’est-ce pas ? Et celle-ci, sans attendre la réponse, partait comme si un ressort l’eût lancée dans la rue. Elle parcourai donc en tous sens cette ville de Lima, vouée au plaisir, au luxe et à l’oisiveté ; elle causait beaucoup, apprenait maintes histoires qui n’étaient guère de nature à calmer les effervescences d’une jeune tête, et rentrait décidée à avoir aussi son petit roman.

Ce roman était esquissé déjà, comme nous l’avons vu. Naïve jusque dans sa témérité, la jeune Péruvienne ne doutait pas que don Palricio ne finit par l’aimer : l’accueil un peu dédaigneux qu’elle avait reçu de lui ne la décourageait point ; elle l’attribua à la fierté naturelle d’un caballero de bonne race dont le regard planait de haut sur la foule. À force d’épier ses démarches, elle se mit au courant de tous les détails de sa vie, et se promit bien de profiter de cette circonstance pour risquer de nouveau une entrevue. Matinal comme un marin et habile comme le sont en général les habitans du Royaume-Uni à choisir l’heure et le terrain de ses excursions, Patricio prenait son vol aux premières clartés du jour pour aller explorer, en dessinateur et en naturaliste, les environs de la ville des rois. Il n’ignorait pas que, sous les latitudes équinoxiales, où règne un été perpétuel, le printemps s’est réservé les instans fugitifs qui séparent la nuit de l’invasion définitive du soleil : a ce moment-là, une vapeur dorée s’élève du sommet des montagnes ; la terre, rafraîchie par la rosée, est douce à fouler. Les oiseaux chantent si gaiement, que l’homme à son tour, oubliant ses tristesses, s’épanouit avec confiance en face de la nature radieuse, qui semble vouloir le fasciner. Cette heure précieuse, que tant de paresseux laissent passer sans en jouir, don Patricio l’employait soit à courir à cheval sous les belles allées qui ombragent la route du Callao, soit à errer pédestrement au versant des montagnes, dont les croules élevées en amphithéâtre dominent la ville du côté de l’est. Un matin, il avait pris cette dernière direction, et après une longue marche il achevait de gravir l’un de ces sommets escarpés. Un magnifique panorama se déroula subitement à ses yeux : à pic, au dessous de lui, dans le demi-jour d’une ombre mystérieuse, s’allongea une vaste plaine bien arrosée.