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lent. Entraînée par un élan irrésistible qui la poussait en avant, elle se sentait encore retenue par un reste de timidité et comme troublée par une vague appréhension. Quand elle se trouva devant la porte de don Patricio, elle s’arrêta pour respirer ; son cœur battait bien fort.

— Allons, Rosita, se dit-elle, te voilà rendue… Il n’y a plus à reculer ; du courage… Elle frappa, et la porte s’ouvrit.

— C’est bien ici que demeure le caballerito étranger, le lieutenant don Patricio ? demanda la Rosita en fixant sur celui ci, à travers son voile, un regard pénétrant.

— Que lui voulez vous ? répondit don Patricio.

— Le voir et lui parler, dit la jeune fille, qui courut s’asseoir au fond de l’appartement.

— Señorita, reprit don Patricio un peu surpris de ces façons dégagées, je n’ai pas l’avantage de vous connaître.

— Vous ne me connaissez pas, dit vivement Rosita en laissant tomber son voile sur ses épaules ; vous ne connaissez pas la Rosita Corrizuelo, à qui vous avez envoyé une pièce d’or ? Voulez-vous savoir ce que j’en ai fait ? D’abord, j’ai acheté une paire de souliers de satin ; ils sont jolis, n’est-ce pas ? Regardez donc… et elle allongeait la pointe de son petit pied… Ah ! don Patricio, j’étais bien sûre que vous finiriez, par me remarquer ; mais, dites-moi, combien de temps m’auriez-vous laissée courir après vous sans me parler ? Tenez, vous qui savez lire, apprenez-moi donc le numéro qui est écrit sur ce billet de loterie… C’est encore avec votre argent que je l’ai acheté. Je suis une folle de le porter toujours sur moi ; si j’allais le perdre !… Oh ! les beaux cigares que vous avez là, caballero ! du feu, s’il vous plaît !

Tout en débitant ces phrases décousues d’une voix rapide et vive, Rosita se mit à marcher au hasard dans l’appartement, comme un oiseau familier qui voltige çà et là en gazouillant toujours. Cette visite inattendue avait déconcerté le jeune lieutenant. Faire sentir à la Rosita l’indiscrétion de sa démarche et lui donner à entendre une fois pour toutes qu’on ne s’introduit pas chez un gentleman comme on entrerait chez une commère du voisinage, sans préambule et pour le simple plaisir de babiller, lui parut le meilleur parti qu’il eût à prendre en cette occurrence ; mais la langue espagnole ne lui était pas si familière qu’il n’éprouvât un grand embarras à formuler son speech. Tandis qu’il cherchait un exorde, Rosita s’assit sans façon devant la table et ouvrit l’album qui s’y trouvait.

— Laissez cela, dit sèchement don Patricio ; en vérité, je ne sais ce que vous êtes venue faire ici ! Veuillez vous retirer, señorita ; il faut que j’écrive et que je me prépare à aller en visite.

— En visite ?… Chez qui ? demanda la jeune fille.