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Lima ; aurait-il lu la mienne ? y aurait-il répondu ?… Non, je n’écrirai pas ; allons plutôt trouver Tia Dolorès. – Et elle alla frapper à une petite porte de la rue des Birroqueros.

Tia Dolorès était une respectable duègne courbée par l’âge, qui marchait péniblement en s’appuyant sur un bâton ; ce qui ne l’empêchait pas de courir la ville du matin au soir.

Gens boiteux n’aiment pas à rester au logis !

— Eh bien ! ma fille, demanda la vieille d’une voix doucereuse, qu’y a-t-il ?

— Il y a que j ai besoin de vous, Tia, répondit la jeune fille ; il y a que je suis éprise d’un cavallero étranger qui se nomme don Patricio que j’ai vu déjà trois ou quatre fois passer à cheval sur la place. Il est blond, il a les yeux bleus, et je meurs d’amour pour lui.

— Ta, ta ! s’écria la duègne, j’ai peur que ce ne soit un Anglais. Que veux-tu que je lui dise ?… Il me répondra : Oh !… et me mettra à la porte. Si c’était un Français, je ne dis pas ; ces gens là parlent à tout le monde…

— Non, Tia, non, ce n’est ni un Français ni un Anglais ; c’est un… un blond, Vous dis-je, un cavalier plein de grace, charmant, comme on n’en a jamais vu à Lima. Dites-lui que je l’aime comme la prunelle de mes yeux, plus que ma vie. Courez, Tia Dolorès, courez donc ! Tenez, voilà votre béquille… Il demeure dans l’hôtel de la marquise de ***, au premier, la fenêtre grillée qui fait face au marchand de bonbons. Le portier est un vieux nègre à moitié sourd qui ne vous entendra pas, si vous ne frappez pas très fort avec votre bâton sur les dalles du porche. Courez, courez !

La duègne partit en marmottant. Le portail de l’hôtel était ouvert ; le vieux nègre, renversé sur sa couchette, jouait de la guitare et ne s’occupait nullement de savoir qui passait devant sa loge. Comme il avait l’oreille très paresseuse, ainsi que l’avait remarqué Rosita, il raclait les cordes de son instrument à tour de bras pour en augmenter la sonorité ; ce qui produisait un vacarme sans doute fort agréable au vieux noir, car il bondissait de joie sur son matelas, entre les quatre murs de son étroite cellule, comme le bourdon s’agite en frémissant dans le calice d’une fleur. La duègne monta doucement l’escalier, prit haleine sur le palier en regardant par le trou de la serrure, et frappa à la porte de don Patricio. Celui-ci venait de donner le dernier coup de brosse à son chapeau ; il mettait ses gants et se disposait à sortir.

— Que demandez vous, ma bonne femme ? dit il à la vieille, qui s’encadrait dans la porte comme une eau forte de Goya.

— Seigneur cavalier, répondit la duègne, je viens vous prier d’avoir