Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prescriptions de l’étiquette. Après avoir dit quelques mots de ses voyages en Europe, le prêtre péruvien parla des curiosités du pays ; il signala au jeune officier un beau tableau placé dans le couvent des Desemparados, et que l’on attribue à Murillo ; il offrit de l’accompagner dans les excursions qu’il ne manquerait pas de faire aux ruines du temple du Soleil et aux tombeaux des Incas. Enfin, quand ils se séparèrent, le chanoine don Grégorio donna, sans plus de façon, son adresse à don Patricio, qui, de son côté, lui remit sa carte. Rentré dans sa chambre, le jeune officier se hâta d’inscrire sur son memorandum la liste de toutes les belles choses qu’il se proposait de voir à Lima et dans les environs. Il tailla ses crayons, prépara ses albums, et fit la revue des boîtes dans lesquelles il se promettait de piquer les papillons étincelans qu’il avait vus voltiger par-dessus les murs des jardins. La frégate sur laquelle il servait en qualité d’enseigne se trouvait alors à Guyaquil ; il ne l’attendait pas avant six semaines : c’étaient donc quarante cinq jours de congé qui lui restaient à employer selon ses goûts en toute liberté.


II

Le lendemain matin, de bonne heure, la jeune fille que le chanoine don Grcgorio avait appelée du nom de Rosita descendait les degrés de la cathédrale : enveloppée de son voile et de son étroit jupon de satin noir, elle glissa le long des murs, comme une chrysalide, et atteignit le Portal de Escribanos. Il n’y avait personne sur la grande place, à l’exception de quelques Indiens, arrivés pendant la nuit des montagnes de l’intérieur ; ils étaient debout et immobiles près de leurs lamas qui ruminaient paisiblement, accroupis à la manière des chameaux. Les boutiques s’ouvraient, mais lentement ; les commis marchands, après avoir enlevé le premier volet du magasin, se disaient bonjour d’une porte à l’autre et aspiraient l’air frais du matin, en regardant les gallinazos[1] sautiller sur les toits et le long des ruisseaux. Les passementiers installaient leurs dévidoirs et leurs rouets sous les arcades et échangeaient quelques mots avec les femmes matinales qui sortaient de la messe à laquelle venait d’assister Rosita : celle-ci marchait à petits pas sous la galerie des écrivains. Arrivée à l’extrémité du portal, elle en découvrit un le seul qui fût établi à sa place accoutumée ; et s’approcha de lui. L’écrivain dormait, la cigarette passée derrière l’oreille, les mains croisées sur l’abdomen, les pieds allongés sous la table. Plusieurs fois Rosita passa devant lui, sans que le frôlement de sa saya pût le réveiller ; enfin elle l’effleura du coude, toussa

  1. Gros oiseaux de proie communs aux deux Amériques, qui se nourrissent des immondices qu’on jette au coin des rues.