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des négocians de Trieste, des Anglais, des Grecs : cette perspective ne paraît pas se réaliser vite ; d’ailleurs c’est moins le capital qui manque que l’esprit d’entreprise et l’activité commerciale. Venise est encore abattue sous le coup des récentes catastrophes qui ont si cruellement aggravé sa longue décadence. À Venise encore plus que dans le reste de l’Italie, tout passe aux mains des Allemands, des Suisses et des Anglais : maisons de banque, commerce en gros, commerce, de détail, tout ce qui est un peu considérable est tenu par des Allemands, et il y vient une jeunesse teutonne qui renouvelle sans fin la colonie. Venise diminue et s’affaisse ainsi de plus en plus à côté de la prospérité croissante de Trieste.

Nous ne répéterons point sur la condition des sujets de l’état pontifical des exagérations qui ont été plusieurs fois démenties sans réplique : nous ne croyons point qu’il pût s’accomplir sous les yeux de l’armée française des mesures qui fussent en contradiction avec le caractère et les sentimens français. Ce que nous ne pouvons dissimuler, c’est la faiblesse du gouvernement romain, qui semble encore bien loin de pouvoir s’établir dans Rome même avec quelque confiance, et qui est obligé d’abandonner aux brigands celles des Légations dont les étrangers ne se sont pas rendus maîtres. Minée par les répugnances de ses propres sujets, gênée par le patronage qui la préserve et qui lui est indispensable, la domination temporelle du saint-siège n’a jamais été plus dangereusement ébranlée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Ce succinct aperçu des plaies de l’Italie ne serait point malheureusement complet, si l’on n’y ajoutait les tardives représailles que la cour de Naples prend maintenant sur la révolution. Les régimens suisses ne se prêtaient point assez au service de police inquisitoriale qui leur était commandé ; les sbires les remplacent encore plus qu’ils ne les secondent. Ces violences, jusqu’ici plus ou moins cachées, dans le silence d’un pays redevenu muet, ont eu tout d’un coup en Europe un grand et sinistre retentissement. C’est M. Gladstone qui a provoqué cette universelle réprobation. On peut compter parmi les événemens politiques la publication récente de ses deux lettres adressées à lord Aberdeen au sujet de la conduite du gouvernement napolitain vis-à-vis des prisonniers d’état. Ces lettres étaient bien de nature à exciter l’attention de quiconque s’intéresse aux affaires de l’Europe. Jusqu’à présent, on avait trop cru sur le continent que les encouragemens donnés par l’Angleterre au parti italien tenaient surtout à l’humeur personnelle de lord Palmerston, ou du moins aux tendances du cabinet whig ; mais la publication de ces lettres jette une lumière nouvelle sur la question et mène inévitablement à penser que le sentiment général des hommes politiques les plus importans de l’Angleterre, à quelque opinion qu’ils appartiennent ; favoriserait en Italie des réformes nécessaires. Tout le monde sait quel est l’esprit conservateur de lord Aberdeen, et l’on connaît tous les gages qu’il a fournis au parti de l’ordre et de la paix en Europe. Cette publication, à laquelle il a donné son assentiment, et qu’il a prise pour ainsi dire sous ses auspices, prouve que si cet homme d’état repousse les excès des révolutionnaires il ne repousse pas moins les excès opposés d’une aveugle réaction. Quant à M. Gladstone, le récit chaleureux qu’il fait des condamnations excessives dirigées contre les libéraux napolitains, le blâme sévère qu’il