cela ruinera la France par le grand nombre de fonds que la reine fait passer pour cet effet à son frère, et qui en ce moment doivent au moins se monter à deux cents millions. — Tu ne te trompes pas, lui dit-il ; Oui, il en coûte déjà plus de deux cents millions, et nous ne sommes pas au bout. » Qui ne voit d’ici la scène du grand commun en 1788 ? Le comte de Coigny en belle humeur, une petite fille qui se met à lui parler politique et qui sait exactement combien de millions la reine a fait passer en Autriche, ce qui redouble la bonne humeur du comte et ce qui lui fait répondre avec un ton de persiflage que la pauvre sotte ne comprend pas : Oui, deux cents millions, et nous ne sommes pas au bout ! — Voilà la scène de 1788. Voyez ce qu’elle est devenue en 1793 !
Si j’ai insisté sur le rapprochement instructif que M. de La Marck fait entre les méchancetés de cour de 1785 et le procès de Marie-Antoinette en 1793, c’est pour faire une réflexion qui peut avoir son à propos. Je ne dirai pas, comme Mme de Campan, qui a raconté aussi les méchancetés de la cour contre la reine, que les princes doivent être d’autant plus circonspects qu’ils sont plus exposés ; je laisse de côté les devoirs des princes, pour m’occuper de ceux des citoyens, qui nous touchent de plus près, et je dis que quiconque tient au maintien de la hiérarchie sociale doit dans les temps de faction et de révolution, se garder soigneusement du péché de médisance. J’ai vu de fort honnêtes gens, qui aimaient beaucoup la monarchie et qui l’aiment encore un peu plus aujourd’hui, lesquels pourtant médisaient volontiers du roi Louis-Philippe et ne se refusaient pas un bon mot, dût ce bon mot discréditer la monarchie ou le monarque. Ils ont cessé de railler le 22 ou le 23 février ; il était trop tard. On dirait qu’en France il y a des temps où l’on ne veut supporter de princes qu’à condition qu’ils seront parfaits. C’est pour la monarchie un cahier des charges difficile à exécuter, d’autant plus que la perfection, comme nous l’entendons en France, ce n’est pas seulement d’avoir les qualités, mais surtout les défauts que nous aimons.
Ce que j’aime dans M. de La Marck, c’est qu’il est point le panégyriste aveugle de la reine ; il l’admire, mais il la juge. Voyez cette conversation qu’il a avec elle au moment où Mirabeau commence à entrer en relations avec la cour « Cette partie de notre conversation terminée (celle des affaires), dit M. de La Marck, la reine me parla des temps passés. L’espoir qu’elle avait conçu des services que rendrait Mirabeau semblait avoir dérobé à ses regards les dangers qui la cernaient de toutes parts. Dans son confiant abandon, elle me donna de nouveaux témoignages de cette bienveillance à laquelle elle m’avait accoutumé dans des temps heureux qui avaient fui, hélas ! pour toujours. Elle se laissa même entraîner par les souvenirs du passé à parler