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quand il consultait sur le même pied Mirabeau et Bergasse, non pas que M Bergasse ne fût un homme qui avait du cœur et de l’esprit ; mais qu’était-ce auprès de Mirabeau dans les circonstances où le roi était placé ? Ce manque de discernement irritait Mirabeau, quand, sans savoir encore quel était le conseiller qu’on lui opposait, il sentait pourtant que le roi prenait d’autres conseils que les siens, et même qu’il les préférait. « Je ne suis pas du tout propre, dit-il, ni à être une doublure, ni à servir qui ne se fie pas. Mettez bien cela dans ces têtes princières et sous-princières[1] » Mais sa colère et son orgueil éclatent surtout quand il apprend que c’est Bergasse que l’on consulte et qu’on lui oppose. « C’est donc au banquet mesmérique, c’est donc sur le trépied de l’illumination qu’ils vont chercher un remède à leurs maux[2] ! Bon Dieu ! quelles têtes qui ne peuvent pas se dire : L’auxiliarité de ces gens-là, secondée de toute notre puissance qui n’est plus, n’a pu balancer un moment le combat, et elle le rétablirait, quand il est totalement perdu, contre les mêmes généraux et les mêmes troupes, quand on n’a plus ni troupes ni généraux à leur opposer ! ô démence[3] !

Ce qui désespère Mirabeau dans cette fluctuation perpétuelle du roi, c’est qu’il connaît l’assemblée constituante et qu’il sait fort bien qu’elle n’est ni ennemie du roi ni ennemie de la monarchie. « L’assemblée, dit-il avec un sens profond, était venue pour capituler et non pour vaincre, et elle ne soupçonnait même pas sa destinée[4]. » Oui, 1789 venait plein de confiance en la bonté du roi et dans ses intentions justes et libérales ; il venait pour soutenir Louis XVI contre la cour et pour faire une transaction entre l’ancien et le nouveau régime. D’où vient donc que 1789 a eu la destinée qu’il ne soupçonnait pas et qu’il ne voulait pas, une destinée révolutionnaire ? Le mal est venu en grande partie de la cour, « de sa fausse conduite, de sa faiblesse lorsqu’il fallait résister, de sa résistance lorsqu’il fallait céder, de son inertie lorsqu’il fallait agir, de sa marche ou trop lente ou trop rétrograde, de ce rôle de simple spectateur qu’elle affecte de jouer, de cet ensemble enfin de circonstances qui, persuadant aux esprits faibles que la cour a des projets secrets, font multiplier aux esprits ardens les mesures outrées de résistance[5]. »

Que fallait-il pour remédier à cela ? Un plan et un homme. Le plan, Mirabeau l’avait, et il le développait dans les notes qu’il adressait au

  1. Tome II, p. 63.
  2. Bergasse avait été un des partisans de Mesmer et du magnétisme.
  3. Tome II, p. 238.
  4. Tome II, p 325
  5. Tome II, p. 325-326.