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poitrail. À une demi-lieue plus loin, derrière eux, un corps d’armée de quatre cents hommes environ suivait la trace des deux guides : c’était l’expédition commandée par le général Teran en personne Pour gagner le Playa-Vicente, puis la barre du fleuve de Goazacoalcos, et prendre livraison du chargement d’armes dont le général avait traité avec Robinson. Les deux batteurs d’estrade, Andrès surtout, laissaient percer sur leur physionomie un air d’abattement mélancolique que justifiaient l’aspect des lieux et les circonstances désastreuses au milieu desquelles ils se trouvaient.

— Plaise à Dieu que mes prévisions ne se réalisent pas, dit Andrès en jetant un regard découragé sur la campagne ravagée par les eaux, et qu’il n’en soit pas de nous comme du cheval de l’Espagnol, qui, pour avoir été trop vivement poussé par son cavaliers ne put arriver au but de son voyage !

- Je le crains aussi, reprit non moins tristement Berrendo.

— Je suis en pays inconnu, continua le chercheur de traces ; je l’ai vainement représenté au général, et cependant, si je me trompais de route, si je laissais quelque ennemi à côté de nous sans déjouer ses tentatives, c’est un déshonneur auquel je ne survivrais pas. Si du moins il avait voulu différer son expédition jusqu’après la saison des pluies !

— C’est de votre faute s’il nous a pris pour guides malgré nous, répliqua Berrendo ; si nous n’étions pas partis la nuit où nous voulions rester dans la cabane de l’Indien de peur de rencontrer le faucheur de nuit, vous n’auriez pas rendu au général l’éminent service de sauver une partie de sa cavalerie ; vous ne lui auriez pas rendu le service plus important encore d’empêcher une cargaison d’armes de tomber au pouvoir de l’Espagne. Alors son excellence ne se fût pas engouée de votre sagacité ainsi que de votre courage ; partant nous aurions évité… - Mais à ce propos, continua Berrendo comme si une idée subite venait de le frapper, j’ai certainement quelque mérite aussi ; cependant, comme je n’ai pas été assez heureux pour rendre à son excellence le moindre service, pourquoi donc a-t-elle daigné me faire savoir que, s’il me plaisait de vous accompagner, j’étais libre de le faire, et que, si cela me déplaisait, je n’étais pas libre de rester à Tehuacan ?

— Ami, repartit gravement le chercheur de traces, votre loyauté se fût effarouchée d’un combat à armes inégales ; rester seul à Tehuacan vous eût fait auprès de la divine Luz la partie trop belle. J’ai voulu égaliser les chances, et c’est grace à ma sollicitude pressante que vous avez été contraint de m’accompagner dans cette expédition, en dualité de second guide.