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journée était déjà commencé. Le chef insurgé était alors en fonds, et il accueillit avec joie la proposition de Robinson, qui offrait de lui céder son précieux chargement d’armes. Comme il était, séance tenante ; occupé à discuter avec le négociant les clauses de son marché, un grand bruit se fit entendre sur la place, ou les premiers rayons du soleil éclairaient deux régimens campés là faute de caserne. Le général s’approcha de la fenêtre pour voir quelle pouvait être la cause de cette rumeur.

— Ah ! dit-il, ce sont nos fourrageurs qui reviennent plus abondamment chargés encore qu’hier ; mais que leur veut cet homme ?

— Cet homme, excellence, lui dit l’Anglais, est Andrès Tapia le chercheur de traces. C’est lui qui m’a vaillamment arraché aux mains des Espagnols, et si, grace aux armes que je vous fournirai, votre cause finit par triompher, c’est à cet homme que votre excellence le devra.

Andrès gesticulait et parlait avec feu, et des rires répondaient à ses paroles. — S’il plaisait à votre excellence de l’écouter, s’écria Robinson, je suis convaincu qu’elle serait de son avis.

A ver (voyons), dit le général en donnant l’ordre de lui amener Andrès. — Celui-ci, s’adressant à Teran :

— Plairait-il à vueza ezencia, dit-il, d’ordonner qu’on brûle au plus vite tout le fourrage que ces soldats viennent d’apporter ?

— Et pourquoi, s’il vous plaît ?

— Parce que nos ennemis se servent de toute espèce d’armes contre nous, et qu’on a profité d’un préjugé accrédité dans toute notre province pour empoisonner des fourrages que l’on dit coupés par le faucheur de nuit, et dont on ne suspecte pas la qualité. Ces fourrages nous coûteront, c’est moi qui le soutiens, les chevaux de tout un régiment.

Andrès paraissait sûr de son fait. Le général donna donc l’ordre de séquestrer provisoirement les fourrages, assez rares pour n’être pas sacrifiés légèrement, jusqu’à ce qu’on les eût fait goûter par un cheval de rebut ; ce qui fut exécuté.

— Ainsi, dit Berrendo à Andrès quand ils se retrouvèrent seuls, ce faucheur de nuit…

— N’était qu’un drôle qui jouait le rôle qu’on lui avait tracé, mais qui n’était pas de force à lutter contre moi.

— Il vous a confessé que ce fourrage était empoisonné ?

— Il ne m’en a pas dit un mot ; nous n’avons causé que du beau temps et des derrières pluies, répondit Andrès en achevant de débrider son cheval.

— Et cela vous a suffi ?

Parbleu ! j’ai deviné la pensée de bien des gens en moins de mots qu’il ne m’en a dit. J’avais pu l’observer quelque temps sans qu’il me vît, et, quand je l’ai accosté, je savais déjà presque à quoi m’en tenir.