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arrêté malgré l’homme, par conséquent une honte pour la volonté humaine qui s’était proposé de réaliser un plan tout entier, et cependant, tout en jetant avec une douloureuse aigreur le mot impuissance, il s’enthousiasme du même souffle pour les énergies infaillibles qui atteignent leur but par nos erreurs et pour le plan complet qui se parachève par nos commencemens. Bref, il a le sens de la vie, en bloc ; il a surtout le profond sentiment de la masse de force qu’il faut dépenser en pure perte, rien que pour apprendre le tour de main qui permet d’utiliser ce qu’il en reste : une goutte. Aussi a-t-il pris pour héros un génie avorté « dont la grandeur se mesurait à la dimension de son ombre. » Un tel symbole résumait mieux ses impressions sur la destinée humaine. D’ailleurs, il fallait un Paracelse pour que le poème renfermât un Festus, et Festus c’est M. Browning sous une de ses faces, avec sa confiance dans le maître qui en sait plus que nous, et avec son respect endolori pour toute supériorité humaine. On n’invente pas des sentimens comme ceux-ci, par exemple : « Le voilà donc lui, le plus brave champion de la terre, lui, la seule compensation accordée pour des milliers de générations qui courent au néant et ne laissent pas de trace ! Mon Dieu, tu ne peux pas trouver mal que je me range de son côté : il a grandement péché, mais moi je n’aurais pas pu pécher de la sorte. »

Voilà certes de l’émotion devant ses propres abstractions, et cependant le poème, après tout, ne serait-il pas comme un de ces péchés sublimes dont parle Festus ? M. Browning semblerait presque l’avoir pensé, car son œuvre était à peine achevée, qu’il écrivait dans sa face : « Il est à présumer que je ne recommencerai pas une pareille tentative. » Ce qui n’est pas douteux, c’est que la poésie de son œuvre manquait bien de corps pour venir habiter parmi les hommes. Qu’elle eût pu garder toute son ame en se matérialisant davantage, c’est là une autre, question ; mais en tout cas le poète était un peu tombé lui-même dans ces excès du spiritualisme qu’il a si nettement décrits. À force de se préoccuper de l’esprit de justice qui enfante les actes de justice, Luther (comme M. Émerson de nos jours) en était venu à ne plus trop savoir à quoi servaient les œuvres. À force aussi de regarder les actions humaines au point de vue de ce qu’elles signifient, M. Browning, quand il écrivait Paracelse, en était arrivé à ne plus trop savoir à quoi servent dans un drame « ces faits et ces incidens qui, dans la vie, déterminent ou manifestent nos sensations. » C’est lui-même qui s’est ainsi critiqué. — J’en conclurais volontiers qu’il péchait encore par excès de jeunesse. La pensée chez lui, était trop comme l’aspiration de Paracelse : elle était avide de s’exprimer jusqu’à ne songer qu’à elle et à ne vouloir que les moyens qui, pour mieux la formuler, ne formulaient qu’elle. Les images ne manquaient pas certainement : mais