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oscillations et les transformations de mon esprit, je dirais presque dans tous les pores de ce corps qui s’en va. Je sentais, je savais ce qu’est Dieu, ce que nous sommes, ce qu’est la vie, comment Dieu prend une joie infinie dans des voies infinies, — éternelle joie lui-même dont émane tout être… Où est la satisfaction, Dieu est, et toujours avec un bonheur entrevu au-delà… Le feu central se gonfle sous la terre, et la terre change d’expression comme un visage humain. Le métal en fusion jaillit au sein des roches ; il se ramifie en brillans filons, et Dieu s’en réjouit. Les flots de la mer irritée se bordent d’écume, comme les lèvres de la colère, tandis que dans les profondeurs solitaires surgissent des groupes étranges de jeunes volcans, tournant l’un sur l’autre, comme des cyclopes, leurs yeux enflammés, et Dieu prend plaisir à leur inculte orgueil. Puis tout est morne ; la terre est une masse glacée : c’est l’hiver. Mais l’haleine du printemps comme une folâtre chanteuse, effleure en dansant son sein pour l’éveiller ; une rare verdure commence à poindre çà et là sur les talus rugueux, entre les racines desséchées des arbres et les crevasses de la glace, comme un sourire qui tente de s’épanouir sur une figure ridée. L’herbe verdoie, les branches se gonflent de fleurs, semblables à des chrysalides impatientes d’aspirer l’air. Les bourdons affairés luisent et bruissent ; les scarabées courent le long des sillons ; les fourmis sont toutes en mouvement. En haut, les oiseaux volent en joyeux essaims ; l’alouette prend son essor toujours, toujours plus haut, frémissante de plaisir. Au loin dort l’océan ; les blanches mouettes voltigent sur la plage, où le sable est pourpré de coquilles ; les créatures sauvages vont à leurs amours dans les bois et les plaines, et Dieu renouvelle ses anciennes extases. Ainsi habite-t-il en tout sens et dans tout, depuis les plus imperceptibles rudimens de l’être jusqu’à l’homme, sa consommation, l’achèvement de cette sphère de vie ; l’homme dont tous les attributs, déjà disséminés avant lui dans le monde visible, y flottaient comme pour se chercher ; fragmens d’essai qui demandaient à se combiner dans quelque tout merveilleux, qualités encore imparfaites à travers la Création, et qui semblaient désigner quelque créature à naître, quelque centre où les rayons épars viendraient converger. La force, non point l’impulsion aveugle, ni l’énergie harmonieusement réglée par la science suprême, mais la force usant d’elle-même à ses risques et périls, avec l’espérance et la crainte pour la stimuler ou la contenir ; la science, non pas l’intuition, mais le lent et incertain produit d’un travail qui ajoute à son prix et que soutient l’amour ; — l’amour, non point d’une pureté sereine, mais fort par sa faiblesse, mais semblable à une plante semée par le vent sur un sol ingrat, et belle de ses fleurs dégénérées avec leurs douces et pâles nuances inconnues dans un climat plus fortuné ; l’amour qui endure et qui doute, qui souffre beaucoup et qui est beaucoup soutenu, un amour troublé d’ombre qui n’abandonne pas et se dévoue, une confiance tâtonnant dans le demi-jour et souvent chancelante ; tout cela en germe, tout cela et plus encore à l’état d’indication, se montre éparpillé partout, et toutes ces possibilités cherchent un objet où s’épanouis et résider, toutes ébauchent vaguement la race qui va venir, et l’homme apparaît enfin ; c’est le sceau apposé à tout ce qui précède. Une phase de l’être est complétée, et un reflux de lumière rejaillit du grand résultat sur tous les degrés inférieurs, qu’il explique mieux en ruisselant du sommet à la base…